Octobre
1954
HENRI
EY EN ARGENTINE
« En 1954, en raison de plusieurs
congrès dans notre spécialité et disciplines voisines,
l’Argentine reçut de nombreuses visites de psychiatres étrangers.
Mais aucun n’a laissé une trace aussi profonde qu’Henri Ey, le «
Seigneur de Bonneval », sans doute le psychiatre le plus en vue en
France aujourd’hui (...)».
« (...) Ce fut, dans le terne
Congrès latino-américain de santé mentale (Buenos
Aires, octobre 1954) qu’il brilla le plus. Il mit l’accent sur l’apport
de la psychanalyse à la psychiatrie : la psychanalyse rénovatrice
de la psychiatrie, la psychiatrie imprégnée de psychanalyse,
la psychiatrie qui ne peut pas se passer de la psychanalyse... Tandis que
les psychanalystes se redressaient, les yeux brillants devant cette consécration
en plein salon de l’Académie de médecine, les psychiatres
classiques s’assombrissaient, les organo-dynamistes se noyaient dans les
fauteuils académiques. Jusqu’à ce que Henri Ey prononçât,
à la moitié de sa conférence, si bien dite dans un
espagnol savoureux, ces tonitruants : « Mais !... Mais ! »
qui faisaient craindre un renversement de ses propos. Malgré tout,
en dépit des objections et des hésitations, le solde fut
favorable à l’orientation freudienne.
Le salon du Dr Pichon-Rivière,
grâce à sa gentillesse et à sa noblesse, et malgré
son engagement notoire, était devenu l’endroit où tous pouvaient
se rencontrer, croiser le fer et se tendre la main. C’est là qu’eut
lieu l’ultime rencontre.
Longtemps attendu, l’hôte espéré
apparut enfin, bronzé par le soleil printanier au cours d’une grande
promenade sur les canaux du Tigre, repu à la suite d’un bon repas
criollo, essouflé, chemise ouverte sur son cou épais, comme
un bon garçon qui aurait donné libre cours à sa sensualité.
Plus désireux de se jeter sur un canapé pour goûter
le repos que de répondre aux multiples questions dont le harcelait
une assistance hétérogène. La courtoisie recommandait
de fraterniser avec l’hôte dans son repos mérité. Mais
il ne put faire autrement que d’affronter ceux qui, chargés d’électricité
polémique, étaient présents. Une pluie de questions.
Celle, pénétrante, posée par le Dr M. Villar, fit
découvrir son flanc et le révéler existentialiste.
Celle que nous lui fîmes fut sur le nombre et les formes des maladies
mentales en relation avec les conditions socio-psychiatriques. Nous obtîmes
alors la réponse la plus stupéfiante selon laquelle aussi
bien le nombre que la forme des psychoses existaient très probablement
depuis des temps immémoriaux, sans quasiment de variations. Comme
si un dieu omniscient avait créé la folie, dans son essence
et dans ses formes, dans sa diffusion et son extension, pour les siècles
des siècles.
Beaucoup capitulèrent devant
un tel savoir, tandis que dans l’esprit de certains autres s’installait
une inquiétude flottante, un profond malaise. Comment ? Où
est la vérité ? Dans le néo-jacksonnisme, dans l’organo-dynamisme
(sont elles des doctrines identiques ?), dans la phénoménologie,
dans la psychanalyse (laquelle de ses branches abondantes et touffues ?),
dans l’existentialisme, dans les entités morbides créées
dès le commencement du monde et pour l’éternité ?
Henri Ey serait-il éclectique ?
La réponse était celle-ci
: « Il ne s’agit pas de concilier par éclectisme des tendances
opposées ; il s’agit de pénétrer aussi loin que possible
au fond des choses... » (Encyclopédie Médico-chirurgicale,
Psychiatrie, tome 1, « Introduction à la psychiatrie »,
p. 5). »
Gregorio Berman, Nuestra
psiquiatría, Paidós, Buenos Aires, 1960.
Traduit par Dominique Wintrebert et publié
dans L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE N° 4, « La psychiatrie en Argentine.
Blessures et espoirs », Avril 1989, p. 362.
Ancienne clinique de G.
Berman, Córdoba, Argentine.