Mercredi 10 JUIN 2009 de 9H à 17H
MAISON DE L’AMERIQUE LATINE
217, Boulevard Saint-Germain, Paris, 75007




REPONSES A L'IM-POLITIQUE DES URGENCES SUBJECTIVES
GUILLERMO BELAGA

1- Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner de l'expérience que nous réalisons actuellement dans un hôpital public de la banlieue de Buenos Aires, orientée par la pratique de la psychanalyse. 

Cette action se déploie à une époque où la chute des programmes institutionnels se vérifie, ceux que la modernité avait instaurés pour traiter et éduquer la population. Des programmes dont le support était une Autorité universelle qui pouvait établir un pacte symbolique garant de la socialisation et de la subjectivité des personnes. 

Tout d’abord, avant d'évoquer cette expérience, je ferai une brève description du Service de Santé mentale dont je suis responsable. Ce service fait partie d'un hôpital général de pointe dans la commune de San Isidro dont la population est de 300 000 habitants. Il est le centre de référence du système local de santé, qui compte également deux autres hôpitaux, l'un tourné vers l’enfance et la maternité, l'autre également général mais de moindre envergure, ainsi que neuf dispensaires. Toutes ces structures disposent d’un service de santé mentale. 

Le service assure 2500 consultations par mois, dont la plus part sont ambulatoires. Ses principaux domaines d'action sont la consultation externe, où sont proposées des thérapies individuelles, familiales et de groupe, la psychiatrie de liaison et les ateliers de réhabilitation. Il existe aussi une coopérative de travail et une maison relais qui participe à un programme de désaliènation avec un des principaux hôpitaux psychiatriques de la province de Buenos Aires. L'hôpital n’a pas d’unité d'hospitalisation, même si en cas d'urgence, les patients peuvent sans obstacles être accueillis par les urgences générales. Pendant leur séjour est mis en place rapidement un dispositif dont le but est d'établir, d’amplifier et de renforcer le réseau communautaire, pour éviter aux patients un séjour dans les hôpitaux psychiatriques. Ces derniers sont des centres de soins avec plus de 1000 lits, éloignés de la commune, ce qui brise davantage le lien social, déjà affecté par la crise. 
 


2- De façon générale, en Argentine, l'hôpital public est gratuit, c’est une institution reconnue et que la population s’est approprié. C’est ainsi surtout depuis les années 50, quand un plan sanitaire s'accordant à l'idée d'un État bienfaiteur fut mis en place, permettant un meilleur accès aux soins pour la population. Cet événement instaura au sein de la population la culture d'un droit à la santé garanti par l' État. 

Ce fait concernant l'identité sociale de la population, fait encore préservé aujourd'hui malgré les changements politiques et sociaux, implique que personne ne puisse être en mesure d'utiliser politiquement un discours qui nierait que les hôpitaux continuent d'être publics, sans risquer une forte désapprobation. 

3- Le programme institutionnel de l'État a subi un grand revers à partir des années 70 avec la dictature militaire, mouvement amplifié par la suite dans les années 90, tout comme les identités sociales qui s'étaient construites autour de l'emploi stable et de la culture de l'économie «fordiste». 

Ainsi, à partir de ces années, la fragmentation de l'Autre s'est approfondie, les "modes de vie" de jadis et / ou les"identités culturelles" ont été affectées. Lors de ces décennies, se sont effondrées les trames qui reliaient les idéaux sociaux, culturels et politiques, éléments d'une bio-narration qui ne purent continuer à donner du sens aux sujets. Par effet du nouveau discours hégémonique du capitalisme mondial, comme sous d’autres cieux, on parvient à se réfugier dans des identifications plus instables, plus "faibles". 

En Argentine, cette irruption eut lieu en 2001. Ce n’est pas tant que les effets d'un monde régi par la technologie et le discours capitaliste – tel qu’il est décrit par J. Lacan en tant que nouvelle modalité de jouissance qui ne trouve pas de défense possible-, ne soient plus là, mais l'événement impolitique, l'irruption de la pulsion de mort comme expérience collective a été subjectivée à ce moment-là. 

La crise du modèle économique néo-libéral que notre pays a vécu en 2001 a marqué un avant et un après dans notre vie quotidienne, sociale et politique. 

C'est à cette période qu’à l’hôpital eut lieu une situation qui a marqué le début d'un autre regard sur la façon dont l'institution devrait répondre. Ainsi, dans ce contexte d'incertitude, d'angoisse et de violence, un jeune blessé a été amené par ses camarades au service de garde. C'était une urgence médicale qui fut prise en charge sans délais, mais pendant que ceci avait lieu, les mêmes jeunes qui accompagnaient le blessé se sont attaqués aux installations du service de garde et ont agressé les personnes présentes. 

C'est à partir de ce cadre chaotique d' "urgences subjectives », que nous avons commencé à repenser quelle institution pourrait être à hauteur du réel sans loi. 

Nous avons compris comment la science et la technologie, alliées à la mondialisation économique, produisent une crise d'autorité, en termes de légitimité et de garantie, ce  qui conduit à une angoissante quête de références, ce qui a une influence sur la pratique du personnel soignant – et c'est la raison de cet écrit - mais qui s'étend aussi à l'ensemble de la société. 

La conséquence de cela est qu'on ne peut plus soutenir « L’institution » à partir d'identifications uniquement verticales. Il convient de parler « des » institutions, de penser que tout, institutions, lois, visions du monde sont provisoires, transitoires, qu’elles sont dans une dynamique constante et peuvent être éventuellement transformées de fond en comble à partir d'une pragmatique qui puisse considérer que l'universel est percé par un réel indicible. 

4. Premiere reponse de la psychanalyse dans l’institution : la conection entre la notion d'autorité et les stratégies de décision 

L'orientation psychanalytique nous a permis de repenser la notion d'autorité et de la relier à un aspect fondamental de la pratique clinique: Les stratégies de décision face à la demande du malade. 

Alexandre Kojève distingue quatre formes de l'autorité tout au long de l'Histoire : 
L'autorité du Père sur le fils, du Maître sur l'Esclave, du Chef sur la bande et celle du Juge sur celui ou ceux qui sont jugés. 

À leur tour, ces types sont articulés à d'autres formes d'autorité: 

- L'autorité du Père, à la tradition. 

- L'autorité du Maître, à celle du Noble. 

- L'autorité du chef, à celle du Supérieur hiérarchique. 

- L'autorité du juge, à celle du Confesseur 

C’est un fait : dans le contexte actuel on peut ressentir le déclin de l'autorité du père sur la famille et l'éducation. Ainsi, le mythe oedipien, représentant la figure du Père comme celui qui incarne la loi et dont la parole pourrait interdire et distribuer la jouissance ainsi qu’établir une loi à son égard, cette figure ne fonctionne plus comme un moyen de situer une interdiction, une limite. 

Ce que l’on constate maintenant c'est qu’il n'y a pas de limites. Il semblerait que rien ni personne ne puisse poser une limite. Ceci atteint le pouvoir de la parole. Ce pouvoir est érodé au point que, si les psychothérapies comptaient sur la parole pour apaiser les tensions érotico-agressives de l’imaginaire, c’est maintenant l’Image qui prend le dessus sur le symbolique.

5. Quoiqu’il en soit, c’est la parole qui institue un espace et une temporalité. Une institution, qui puisse loger sans obstacles bureaucratiques l’urgence subjective et faire fonctionner l’Autre du langage dans les registres de l'espace et du temps, demeure donc indispensable. Elle est fondamentale pour la résolution du vide panique qui se produit pour les masses lorsque toutes les garanties tombent. 

Un fait qui ressort maintenant, à l'époque du déclin du Maître et du Père, est la façon dont la justice et la religion apparaissent comme lieux de la Vérité, au-dessus des autres formes d'Autorité. 

Le Droit tente de donner une réponse au phénomène fréquent du soupçon. Bien qu’il ne puisse éviter d'être insuffisant face à la violence. 

La religiosité, prend de plus en plus une place importante dans les liens communautaires. Son succès se résume à fournir une identité qui rend lisible l'existence des personnes dans ce contexte d’ "errance" subjective. 

6. Face à la demande de réponses de celui qui souffre d’une « urgence », il n’est plus possible d’incarner l’Autorité sous les espèces des idéaux traditionnels, qui incarnaient aussi une certaine façon de décider. Maintenant, nous considérons que dans notre travail quotidien, qui consiste à établir une action pour résoudre le «trauma généralisé», il faut repenser les stratégies de décision à la lumière des nouveaux contextes. 

A l’analyse de certains postulats utilitaristes, il y a trois formes de choix rationnel : 

a. Décision avec certitude 

b. Décision avec risque 

c. Décision avec  incertitude 

De cette manière, on pourrait conclure que dans la plupart des cas les thérapeutes doivent se positionner en sachant que la décision comporte un risque. 

7. Ces approches tienent compte des conséquences sur la pratique quotidienne de la mondialisation ainsi que des différentes stratégies pour appréhender et opérer dans le cadre des nouvelles conditions qui se développent et qui traversent les différentes identités, à la fois dans leur continuité comme dans leurs ruptures et leurs hybridations. 

À cet égard, Ernesto Laclau, attribue à l'hétérogénéité un rôle constitutif dans le social.
Pour Laclau, l'une des caractéristiques qui définissent  l'hétérogénéité est la dimension de totalité manquée. 

Par conséquent, toute décision prendrait comme point de départ  l'exception et non la gestion de normes universelles. En outre, le moment de la décision ne correspond pas au savoir total, mais la décision repose sur un indécidable, et c’est suite à l’acte que l’on sait. 

8. Ce contexte hétérogène fait échouer les algorithmes décisionnels proposés par le modèle DSM, qui prétend être capable d'établir un standard "pour tous". 

En outre, l'échec de ce programme traumatise le thérapeute, et la surprise de la contingence est l'une des causes de l’angoisse du praticien. 

Cependant, il est possible d'examiner à partir d'une autre praxis les postulats qui tendent à l'homogénéisation des sujets. A partir de l'enseignement de Lacan, la pragmatique de la psychanalyse part du principe qu'il y a un trou dans l'Universel, et et que le symbolique trouve une limite dans un  réel impossible dont témoigne chaque patient, un par un. 

Cette pragmatique implique un exercice de conversation, et d'abduction qui prend en compte la contingence et le possible dans un contexte qui se traduit dans l'organisation quotidienne par une approche du cas « à plusieurs », en particulier dans le cadre de la garde et de la consultation de liaison en urgence. 

Sur le même mode, n’oublions pas que le désir de l’analyste es un désir de non-action, opposé au monde de l’utile, qui rend possible la manœuvre pour pousser l’Autre à décider par lui-même.

9. Second reponse de la psychanalyse dans l’institution : le passage du symptôme social au symptôme particulier

J.Alemán soutient que Freud n’a jamais nommé la civilisation qui serait la plus pertinente pour l’être parlant, Mais par contre, Freud a prévenu que si celle-ci reposait sur la satisfaction d’une minorité et n’offrait pas à la majorité les ressources pour affronter les exigences de la pulsion, cette civilisation deviendrait insoutenable.

Nous pourrions en déduire que l’objectif de la psychanalyse à l’hôpital serait d’aller à contre-courant de cette misère subjective, serait de prendre en considération que « ce donr on dépouille les multitudes, c’est de la possibilité de faire l’expérience inconsciente du vide de la Chose que le surmoi comble avec sa circularité pulsionnelle », avec son impératif de jouissance. 

La misère, en ce sens, est celle d’être seul avec la jouissance de la pulsion de mort dans l’éclipse absolue du symbolique. (7) Dès lors, la clinique de l’acte analytique dans l’hôpital public a pour horizon l’invention d’une nouvelle relation avec le surmoi, dont elle cherche le démontage en passant par la grammaire pulsionnelle de l’inconscient. En définitive, dans les témoignages cliniques que  nous avons étudié, la satisfaction se connecte au traitement, l’effet thérapeutique atteint avec le passage du symptôme social au symptôme particulier. Vérifiant ce qu’affirme Lacan, que jouir de l’inconscient est toujours particulier, et que c’est une sortie du symptôme social. (8)

10. La logique de la cure dans l’ hopitaux :

Sans doute sommes-nous en présence d’une « pulsion désarrimée du signifiant » comme le décrit Eric Laurent, où aucun discours ne paraît avoir la possibilité de se soutenir. (10)  Ceci nous fait signaler qu’à l’horizon, le péril d’un maître des paroles et des corps pourrait advenir. Cette perspective nous a semblé fondamentale dans notre orientation, déjà que que d’un côté nous tenons compte du fait que l’expérience analytique ébranle le fantasme, qui appelle un maître pour obturer la faille dans l’Autre, et d’un autre côté, nous misons sur la mise en fonction de quelque semblant qui permette de nouer le pulsionnel à la langue commune.
C’est-à-dire que, chaque fois, on tente un bon usage de l’aliénation, des rares signifiants maîtres afin que le sujet construise une relation de respect vis-à-vis de cette langue publique qu’incarne l’hôpital, et qu’au même moment celui-ci devienne un instrument qui renvoie à la propre histoire, à la languie privée de chacun pour permettre un autre subjectivation de la vie.
Pour conclure, nous le disions, la logique des cures pourrait se situer à partir de la paire aliénation – séparation.

Ainsi, l’aliénation - considérée comme la confrontation avec une identification (S1), et l’inscription du sujet dans l’Autre -, a d’évidentes manifestations dans la clinique de l’hôpital. On doit son efficacité à la tendance « naturelle » du sujet à s’identifier, mais aussi par le fait que l’identification aliène le sujet au lieu de l’Autre dans la recherche de son être. Nous obtenons dans ce cas un solde thérapeutique à la mesure du capitonnage dans un moment d’indétermination subjective.

Ces effets du S1, de l’opération d ‘aliénation, se connectent avec la fonction de l’hôpital public comme garantie, inscrite dans l’Autre social.

Du point de vue de la psychanalyse, il y a un moment où le parcours de la cure ouvre une tension avec le statut social de l’hôpital, car le calcul de l’interprétation et la chute des identifications déplacent le Nom du Père au champ de l’Autre sans garantie. Dans ce sens, ce qui oriente le psychanalyste repose sur l’évaluation de ce que le sujet peut supporter dans les deux pôles de son action.

L’opération de séparation, pour Lacan, correspond à l’opacité du désir de l’Autre, à l’inscription de l’objet a. C’est là qu’apparaissent les inerties majeures dans les cures institutionnelles, c’est une temporalité qui prend en compte davantage le libidinal que le champ de l’Autre. Dans ce sens, la rencontre avec la honte, mais aussi avec le transfert négatif ont éclairé cet aspect. Par exemple, la présence de la honte a pu être déduite d’un cas qui n’a pas voulu continuer à l’hôpital lorsque la cure avançant, l’institution apparût comme la continuation du ravage familial.

C’est-à-dire qu’ici, nous sommes davantage dans le traitement de la relation d’extimité que le sujet entretient entre son plus-de-jouir et l’Autre social. (11)

De la même façon, dans la pratique analytique, la honte est un indice du transfert. Se marque ainsi un autre vecteur où le thérapeute devra être averti de ces effets, et l’institution devra supporter le propre de l’acte analytique. Car cela tend à réveiller, à « rendre honteux », et par là, cela peut mener l’expérience à un point où peut-être l’analyse, si sa mise s’accomplit, devra se poursuivre dans un autre contexte, hors du champ « public ».

11. Conclusion : Alors, pour nous qui pratiquons dans les hôpitaux à partir d’une orientation psychanalytique, il existe une tension entre une pratique qui essaie d’être une base d’opérations contre la Malaise dans la civilisation, et à la fois qui s’efforce de ne pas rester attrapée par la résolution de demandes sociales comme n’importe quelle autre technique d’adaptation. Ce problème fût explicité par Lacan en 1946 dans son éloge à Bion et Rickman, lorsqu’il définit que la psychanalyse comporte une dimension d’effectivité sociale quand elle se présente comme un instrument de lutte contre la mort qui opère dans la civilisation. Sur ce mode, nous allons tous les jours à notre institution disposés à méditer une éthique qui conjugue le particulier articulé aux valeurs de la société.

Merci beaucoup.

BIBLIOGRAPHIE

1 Kòjeve, A.: La noción de autoridad- 1ª ed. - Buenos Aires : Nueva Visión, 2005.
2 Laurent, E.: El tratamiento de la angustia postraumática: sin estándares, pero no sin principios- La urgencia generalizada: ciencia, política y clínica del trauma- 1ª ed.-Buenos Aires: Grama ediciones, 2005. pp. 31-49
3 Höffe, O.: Estrategias de lo Humano- Ed. Alfa- Buenos Aires, 1979.
4 Laclau, E.: Debates y combates: por un nuevo horizonte de la política- Fondo de Cultura Económica- Bs.As., 2008
5 Alemán, J.: Nota sobre una izquierda lacaniana- Pensamiento de los Confines Nº 20, junio de 2007 – Buenos Aires : Fondo de Cultura Económica.
6 Alemán, J.: El legado de Freud- Revista Lacaniana- Año 4, Nº 4, 2006. pp 19-23
7 Alemán, J.: Nota sobre una izquierda lacaniana, op cit.
8 Lacan, J.: R.S.I. –clase del 18-02-75 (inédito)
9 Le Blanc, G.: Vidas ordinarias, vidas precarias -1ª ed.- Buenos Aires: Nueva Visión, 2007
10 Laurent, E.: Blog-note del síntoma -1ª ed.- Buenos Aires: Tres Haches, 2006. pp 110-111
11 Miller, J.A.: El Analiticón Nº2, “Extimidad”, Barcelona, 1987, pp. 13-27