Conversation avec ENRIQUE  PICHON RIVIERE
Salomon RESNIK -  20 rue Bonaparte - 75006 Paris - 14 Janvier 2002
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Préambule

Je vais faire d’abord l’itinéraire de ma connaissance d’Enrique Pichon-Rivière en reprenant certains aspects de ces apports théorique et cliniques qui m’ont les plus marqués. Puis nous en discuterons.

Buenos Aires est une grande ville qui souffre d’insomnie et le Porteño est un oiseau de nuit qui porte l’esprit errant de ses ancêtres. Moi, j’étais le Porteño type c’est-à-dire né à Buenos Aires, fils d’immigrant comme la plupart des gens de ma génération.
 
 

Enrique Pichon Riviere, né à Genève en 1907 est devenu un Porteño typique à travers des péripéties culturelles complexes. Sa famille s’installa d’abord au Chaco en 1910 au nord de l’Argentine où il y avait une population indigène très importante. Puis dans la province de Corrientes où ils restèrent dans la ville de Goya jusqu'à ses 17 ans. A 18 ans, il commence ses études de médecine à Rosario (il voulait aussi faire de l’anthropologie), mais il tombe malade d’une pneumonie. Il rentre alors chez ses parents et il va continuer ses études à Buenos Aires. D’un point de vue de l’Anthropologie sociale, il y a déjà une confrontation entre cultures différentes qui introduit une certaine complexité dans son existence. Malgré l’intégration du petit Enrique à son nouvel environnement (il apprit la langue Guarani), sa nostalgie de l’Europe restait très vive. Ce fut un enfant puis un adolescent très vivant même s’il avait des moments de grande tristesse. Le souvenir de la langue française est encore très vivace en lui et en 1924, il écrit un petit poème mélancolique qu’il appelle " Connaissance de la mort  ":
Je te salue
mon cher petit et vieux
cimetière de ma ville
où j’ai appris à jouer avec les morts.
C’est ici où j’ai voulu
me révéler le secret de notre courte existence
à travers les ouvertures
d’anciens cercueils solitaires.
Son intérêt pour la psychanalyse est lié en grande partie à son propre deuil culturel et à son contact avec cet autre monde (Isidore Ducasse, objet de sa passion se faisait appeler Lautréamont que phonétiquement on peut traduire par " l’autre monde "), l’inconscient qu’il découvre dans la lecture de Freud, avant même de rentrer à l’université. Dans ses études de médecine, il découvre la mort pétrifiée du cadavre qui l’inquiète. Il eut très tôt le désir de trouver le secret de la vie et de la mort, non pas à travers l’ouverture des anciens cercueils solitaires, mais à travers les espaces inconnus qu’il retrouve en côtoyant le monde de la folie. Le stade mélancolique du mort-vivant l’intrigue et, un des travaux de Freud qui l’interpelle vivement est " l’inquiétante étrangeté "ª (1919). " Das umheimlich ", titre original de l’article signifie le non-familier du quotidien. En espagnol, il correspond à " lo sinestro ". C’est dans cette dimension que je l’imagine et que je le rencontre dans mes pensées, en marchant durant ses nuits d’insomnies dans ce labyrinthe linéaire qu’était la rue Corrientes de Buenos Aires. Comme autrefois à Madrid et à Paris, c’est dans les rues et les cafés que se rencontraient les gens de cultures et de races différentes, migrants, immigrants, exilés, esprits errants, qui s’échangeaient leurs idées et préoccupations selon le rythme nostalgique du tango. D’après Pichon Rivière et Ana Taquini, ma femme, une des raisons pour lesquelles la psychanalyse a eu un tel retentissement en Argentine et à Buenos Aires est liée à la philosophie du tango. Enrique Pichon-Rivière aimait le tango, la vie nocturne et les rencontres multiples dans les cafés. Je l’imagine vacant et divaguant durant ses promenades où moi-même, jeune oiseau nocturne, le retrouvait. Mes vraies universités étaient ses rencontres aventurières dans les cafés de Buenos Aires. La rue Corrientes était une condensation de différents lieux d’Europe mais avec une physionomie très personnelle. Les librairies restaient ouvertes jusqu’à deux heures du matin et dans les années quarante, on pouvait rencontrer Enrique dans la librairie Corcel ou Perlado. J’y ai eu l’opportunité de rencontrer Macedonio Fernandez, qui inspira en partie l’oeuvre de Borges.

Rencontre avec l’ombre du maître

A travers cette conférence, j’aimerais établir une conversation imaginaire avec mon cher maître et ami Enrique Pichon Rivière. Dans conversation, il y a l’idée d’échange, d’entretien, de dialogue et surtout le verbe verser. Pour converser, chacun verse ses idées comme on verse un verre de vin pour partager quelque chose d’essentiel.

Enrique comme l’appelait ses amis, était pour moi un guide, une figure paternelle qui m'a orienté dès le début de ma carrière psychiatrique et psychanalytique.

Quand j’avais un peu près 20 ans, je collaborais déjà avec un service de psychiatrie infantile, qui était dirigé par le docteur Thelma Reca, disciple de Loretta Bender (j’avais déjà fait un stage à l’O.S.E de Buenos Aires avec le professeur Béla Szekeli, un psychologue hongrois qui avait connu Ferenzi et Mélanie Klein). C’est par Ludovico Rosenthal, qui connut personnellement Freud à Vienne (il fut l’un de ses premiers traducteurs en espagnol) que je commençais à assister aux conférences de Pichon Rivière à l’hôpital psychiatrique de Buenos Aires vers les années 1942-43 (à l’époque de la fondation de la Société Psychanalytique Argentine).

J’étais enthousiaste de participer aux classes de ce jeune psychiatre-psychanalyste. Il avait une capacité de transmission extraordinaire, il dégageait de plus un charisme étonnant, une certaine théâtralité. Il est possible que l’image souvent sinistre que l’on garde de ses dernières années et qu’il aimait jouer ne correspondît pas au personnage qu’il était alors.

Il stimulait ma curiosité et mon intérêt pour tout ce qui concernait la pensée de Freud et de Mélanie Klein. Il nous invitait à sentir, réfléchir et à échanger des idées entre nous et avec lui. Lors des conférences, je rencontrais des pionniers de la psychanalyse parmi lesquels Arnaldo Raskovski, Marie Langer et ainsi que de nombreuses autres personnalités.

J’eus la chance de collaborer avec lui dans le service d’adolescents de l’hôpital psychiatrique qu’il dirigea durant peu de temps et dans sa clinique privée. Il m’avait privilégié en me demandant, alors que j’étais très jeune et en formation psychanalytique, de faire partie de son staff. Comme j’avais une expérience de la psychothérapie infantile, il me demanda de m’occuper d’enfants autistes et neuropsychiatriques. Je les suivis avec beaucoup d’enthousiasme, stimulé par lui et sa femme Arminda Aberasturi.

La présence de Pichon Rivière contribuait à donner, durant ses conférences et par la suite à la clinique, une dimension humaniste. Dans le théâtre quotidien de la clinique privée, tous le staff devenait acteurs. Un des acteurs principaux était un ancien malade de la clinique devenu alors infirmier, qui se nommait Del Pratti. Il souffrait de la maladie de Gilles de la Tourette, qui se caractérise par des automatismes moteurs et vocaux. Il était très efficace comme infirmier, mais lorsque sa maladie reprenait possession de lui, il devenait l’inconscient verbalisé du groupe. Dans la cuisine, lieu de rencontre informel du staff apparaissait tout d’un coup Del Pratti. Il lui arrivait de discuter avec un tableau de Gauguin (une très bonne reproduction qui représentait une tahitienne accroupie). Il se confiait à elle et nous, nous profitions alors pour écouter avec attention ce que l’inconscient de la clinique racontait. Pichon-Rivière nous recommandait toujours de lire un auteur hollandais, August Stärcke, qui avait publié un article intitulé " Psychanalyse et psychiatrie "ª. Cet auteur disait que ce qui avait été refoulé dans la ville réapparaissait dans l’hôpital psychiatrique. Dans ce sens, nous avions un morceau de cette réalité inconsciente personnifié par la figure emblématique de Del Pratti.

Parmi les collaborateurs et élèves, il y avait David Libermann, Luisa Alvarez Toledo, le Docteur Tagliaferro (qui va développer la pensée de W.Reich ainsi que le Docteur Mom et sa femme Teresa Muñoz, fille du créateur de cette fondation (il permit à de nombreux étudiants étrangers d’avoir des bourses, il offrit aussi un bâtiment de trois étages dans la rue Coppernico pour créer cette clinique). Le Docteur Fidias Cesio était aussi un des collaborateurs des débuts de la Clinique. Il était issu d'une tradition de recherche médicale sur la physiologie (il avait été assistant du Professeur Housay, Prix Nobel), avant de devenir psychanalyste. Le Docteur Oscar Contreras et le Docteur Figueras figuraient parmi nos autres collaborateurs psychiatriques. En plus de madame Pichon Rivière et moi, dans le secteur enfants, il y avait Teresa Mom et Marcelle Spira, (qui deviendra didacticienne à Genève). Le couple de Willy et Madeleine Baranger (elle-même psychanalyste d’enfant) participaient activement au travail clinique. Ils développeront plus tard les idées de Kurt Lewin sur la notion de " champ " mais dans un contexte strictement psychanalytique.

La première secrétaire de cette institution était Elena Evelson qui deviendra une psychanalyste reconnue. Celle qui lui succédera, Janine Puget à son poste deviendra elle aussi une remarquable psychanalyste. Bleger s’ajoutera plus tard à notre équipe. Souvent venaient à nos séminaires Horacio Etchegoyen et le D. Edgardo Rolla.

La clinique a duré de la fin des années quarante jusqu’à en 1954, 1955. Par la suite, deux autres petits centres reprirent le flambeau de Pichon-Rivière. L’un situé dans la rue Oro comprenait Bleger, Fontana, le Dr Gela Rosenthal et Emilio Rodrigué; l’autre qui était dans la rue Billingurst, le Dr Unsandivaras, le Dr Zac, le Dr Winocour ainsi que moi-même.

La pensée de E. Pichon-Rivière

Quel fut l’héritage de la pensée d’Enrique Pichon-Rivière? Quelles sont ses idées qui m’ont touché le plus?

La dépression de base

Parmi les psychiatres classiques, il était enthousiasmé par W. Griesinger, professeur à l'université de Berlin (1845) qui avait introduit la notion de dépression de base. (En bref cela signifie que toute "névrose actuelle" ou tout processus psychopathologique commence par un sentiment dépressif de deuil lié à la perte d'un objet d'amour. Parfois cela peut être déclenché par la perte d'un organe, par accident ou opération chirurgicale). Griesinger considérait qu'à partir de la dépression de base, prenait place une sorte de régression qui déterminait chez chacun une réaction différente. D'après "Griesinger-Pichon", il y avait comme point de départ, une "psychose unique" et les différents tableaux cliniques de la psychopathologie apparaissaient comme en réaction régressive à une situation traumatique ou déclenchante. Pichon Rivière reliait la pensée de Griesinger, sur la dépression de base, à la notion de régression de Freud, en essayant de développer comme je l'ai signalé, un tableau nosographique complet et dynamique. Il aimait beaucoup illustrer par un dessin ses formulations théoriques à travers un langage géométrique plus ou moins esthétique. La théorie de la " maladie unique " est développée par Pichon-Rivière dans l’article Neurosis y psicosis, Una teoría de la enfermedad en 1970.

Pichon est aussi le représentant en Argentine de l'ancienne psychiatrie française, par la minutie phénoménologique qui rappelle les grands sémiologues psychiatriques français. Parmi les auteurs qu'il mentionnait, il y a surtout J. SEGLAS et J. COTARD. Ce n'est pas par hasard si j'ai écrit ma thèse sur le syndrome de négation décrit par Cotard. Je ne peux oublier la soirée dans laquelle nous avons discuté toute la nuit de ma thèse. Entre une tasse de café et un verre de cognac, notre conversation est devenue très vivante.

Pichon Rivière a été analysé par Angel Garma, il admirait beaucoup sa thèse de 1931 sur le sens de la réalité dans la psychose et sa confrontation avec le monde pulsionnel. Il ne fut jamais satisfait dans la brièveté de son analyse et il souhaitait à l’époque compléter sa formation à Londres. Il avait été très impressionné par les séminaires d’Hanna Ségal en 1953, 54 et il désirait se faire analyser par elle, mais son fantasme ne s’est pas réalisé, même si moi-même et David Libermann nous étions disposé à l’aider financièrement (cela se passait bien plus tard alors que je vivais à Londres).

Prétendre connaître Enrique Pichon-Rivière par ses écrits est très difficile, c’était quelqu’un qui communiquait beaucoup par sa présence. Il n’avait pas la patience d’écrire.

En 1946, Il donna une série de conférences à l'Ecole Française des Hautes Etudes de Buenos Aires sur le Comte de Lautréamont. Pichon Rivière s'intéressait à la lecture des chants de Maldoror du Comte de Lautréamont, textes qu'un patient poète, uruguayen, Edmundo Montagne, lui fit connaître. Un de ses articles fut publié dans la revue " Ciclo " dont il fut un des fondateurs, ainsi qu’Aldo Pellegrini, poète et critique d’art, Elias Piterbarg et David Sussmann. Ils Étaient intéressés par le surréalisme et par tous mouvements poétiques et plastiques d’avant-garde. Un jour, Enrique m’a invité à faire partie de ce groupe où je connus Carmelo Arden Quin, qui étais à la tête du groupe Madi. Plus tard à Paris dans la revue de Carmélo "Ailleurs", cet article sera repris. C’est dans la maison de Pichon Rivière, que le groupe Madi fit une exposition rencontre en 1944.

Le célèbre psychiatre français, Henri Ey, fut invité à donner des conférences à Buenos Aires et il intervint aussi à la clinique privée que certains de nous appelaient "petite Menninger clinique". Le rêve de Pichon-Rivière était d’avoir une clinique pouvant hospitaliser des patients, ce rêve sera réalisé plus tard par Jorque Garcia Badaracco à son retour de Paris.

Quand Emilio Rodrigué, le premier des Argentins à faire une formation Kleinienne à Londres, revint en Argentine, il travailla en partie avec nous. C’est là qu’il verra l'enfant autistique dont il parle dans un article remarquable publié par M. Klein et ses collaborateurs.

L’autre notion qui m’a beaucoup interpellé est celle du " lien " ou " vínculo " qui précède les travaux de Bion. D’après moi, si la dépression de base est liée aussi à l’acte de naissance, la présence du tiers comme élément séparateur de la mère et de l’enfant, tout en agissant comme un pont, introduit " el vinculo " comme élément structurant fondamental.

Les idées de Pichon-Rivière me ramènent toujours aux origines. Lorsqu’il parle de " l’élément émergent " qui naît dans la relation patient-analyste, il se réfère pour moi à la naissance d’un discours circulaire fermé issu du chaos, qui s’ouvre alors comme une spirale labyrinthique essentielle. Pichon utilise l’image d’un cône renversé, cela me fait penser à la Divine Comédie de Dante quand celui-ci parle de la descente aux enfers comme une série de cercles concentriques qui se finit par un vertex composé de glace. L’Enfer dans cette version correspond à l’idée du chaos originaire où tout naît et tout meurt. L’émergence primordiale de Pichon peut-être compris mythiquement comme ce qui naît de l’archaïque inconscient. La connaissance de la psychose qui faisait partie de nos vocations, introduit tous ce qui a d’actuel dans l’archaïque primordial que chacun porte en lui-même et qui émerge dans la crise psychotique.

Il aimait citer le début les chants de Maldoror :

" Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son ‚me comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, ‚me timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. …coute bien ce que je te dis: dirige tes talons en arrière et non en avant, comme les yeux d’un fils qui se détourne respectueusement de la contemplation auguste de la face maternelle. "

Pichon-Rivière était fasciné par la pensée magique et métaphorique du psychotique, il a essayé de pénétrer avec prudence le monde inexploré du délirant chronique. Pour assumer une telle aventure, il conseille comme Isidore Ducasse dans son premier chant qui avant d’entrer en contact avec le mystère et le côté inquiétant de l’être, de bien réfléchir, ce que nous allons faire. Ou plutôt que réfléchir, être en contact avec son propre inconscient et ses motivations profondes. L’anxiété psychotique comme l’anxiété que déclenche un poète comme Lautréamont demande une réelle vocation de la part de l’interlocuteur et un désir de voir l’autre côté de la face maternelle, l’autre côté de la lune. Ce n’est pas sans raison qu’autrefois, on appelait lunatique le malade mental. Peut-être que cela le lie aussi au fait qu’une des premières maladie mentale décrite dans l’histoire de la folie est la lycanthropie. On raconte que le roi Nabuchodonosor se transformait en loup lorsqu’il invoquait nostalgiquement sa mère-lune.

E. Pichon-Rivière s’intéressait aussi à Gérard de Nerval, Hölderlin, Van Gogh, Artaud et Jacob Fijman, un artiste enfermé en hôpital psychiatrique à Buenos aires.

L’enseignement de Pichon-Rivière est toujours présent dans mon travail quotidien. Aujourd’hui même, Gilda une patiente que je suis et qui souffre d’un Syndrome de Cotard avec des mécanismes de négation corporelle découvre dans sa pensée (Mind) qu’elle souffre de strabisme mental. Je lui demande ce qu’elle entend avec cette expression, elle me répond:

- " Je vois à l’horizon une image confuse qui se coupe en deux "

- " Votre strabisme est divergent " lui dis-je.

Elle associe à ces deux objets qui se détachent, l’image de ses parents séparés. Elle ajoute:

- " J’ai toujours voulu les séparer, en couple, ils étaient contre moi. "

C’est un bon exemple des parents combinés de M. Klein, de même que la présence d’un phénomène de divalence décrit par Pichon-Rivière. Cette divalence correspond en partie à la " Ich Spaltung " de Bleuler et Freud qui anticipe le phénomène de dédoublement de l’objet (Objektspaltung de M. Klein) et de la personnalité.

José Bleger parle de l’enseignement de Pichon, inspiré par Freud, Klein et Fairbairn, de même que Griesinger en ce qui concerne une vision globale de la psychiatrie psychanalytique. La théorie de la maladie unique dit Bleger, n’est pas seulement un apport théorique mais un puissant instrument de travail. Il relie la maladie unique dans ses différentes dérives cliniques avec une phénoménologie complexe des modèles de liaison (" Vinculo ") qui complète la notion de relation d’objet chez M. Klein. La théorie de l’apprentissage chez Pichon-Rivière qu’il utilisera dans ces groupes opératoires est un legs important. Tous ces élèves de l’époque dont je fais partie ont gardé cette passion pour la recherche et pour un esprit de groupe: apprendre ensemble ou plutôt créer un champ (Field) fonctionnelle suivant les idées de Kurt Lewin et de Paul Schilder.

A propos du champ analytique et du transfert psychotique et non psychotique, il a écrit un travail très important sur les identifications projectives dans le contexte psychanalytique publié dans la Revue française de psychanalyse de 1952, dirigé alors par Lagache.

Je n’ai pas suivi l’époque de sa psychiatrie sociale, ni de ses groupes opératoires, mais je retrouve dans les séminaires que je fais, une résonance opérative dans le processus d’apprentissage que j’essaie de transmettre. En effet, la notion " d’opérativité " est liée d’après moi à l’idée du travail groupal (Bion) et aussi à une manière de concevoir la réalité. En allemand, le terme " Wirklichkeit " correspond à la notion de réalité et dans le verbe " Wirken " existe en autre la signification d’occuper la fonction de quelqu’un ou de quelque chose. Chez E. Pichon-Rivière, on a toujours appris que la manière de connaître la réalité de l’autre, se fait à travers un jeu d’identification (projective et introjective). Etre en partie dans l’autre pour le comprendre sans devenir l’autre, ainsi une éthique de la rencontre se déploît entre patient et analyste, entre maître et élève et entre l’artiste et ses modèles.

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