Contre transfert et désir de l’analyste

Esthela Solano Suarez
2 juin 2004


Je ne peux pas dire que j’ai connu Heinrich Racker. Non, je ne l’ai pas connu, au sens de l’avoir fréquenté. Cela ne s’est pas fait à cause notamment, de sa disparition prématurée. Ce pour quoi, il n’a pas rencontré les analystes appartenant à ma génération, celle qui est arrivée à la psychanalyse à la fin des années soixante et au début des années soixante - dix.

Nous ne l’avons pas rencontré, mais nous avons été nombreux à pratiquer ces textes. Ainsi, au début de notre pratique ses « Estudios sobre técnica psicoanalitica », publiés par Paidos en 1960 , furent, avec d’autres, les textes où nous allions puiser le nectar d’un savoir-faire qui nous y échappait.

Par ailleurs, même si nous n’avons pas été formés directement par lui, il me semble qu’à certains égards, nous portons d’une façon ou d’une autre, sa marque.

Quelle est cette marque ?

C’est la marque d’un désir. D’un désir, qui est un pari, pour maintenir vivante la psychanalyse. Dans ce sens, Heinrich Racker donne l’exemple de l’analyste qui ne cesse pas de questionner sa pratique et sa position d’analyste, afin de rendre compte des coordonnées de son opération.

A certains égards , Heinrich a réinventé la psychanalyse. Quand il écrit, il rend compte dans ces textes , de la psychanalyse telle qu’il la pratique. Nous ne trouvons dans la psychanalyse à la manière de Racker, que des échos lointains de la griffe freudienne. En tout cas, Freud ne vient sous sa plume de théoricien de la technique analytique, que comme un nom de plus dans une série.

Mais il n’est pas le seul à avoir réinventé la psychanalyse. Ce fut le cas aussi, des autres, psychanalystes, qui, comme lui, arrivèrent à Buenos Aires expulsés d’une Europe dévastée par la barbarie nazie. Nous pouvons imaginer ces jeunes pionniers, arrivant dans cette ville australe et portant comme seul bagage leur transfert à la psychanalyse. Après tout, arrivant à Buenos Aires ils ne se trouvaient pas tout à fait en dehors de l’Europe. Ils avaient gagné la banlieue de l’Europe, si nous croyons à ce que dit Borges, de ce port cosmopolite et fertile.

Heinrich arrive à Buenos Aires, via le Danemark et l’Uruguay, seul. Les autres membres de sa famille sont partis ailleurs. Il a 29 ans. Pour subsister il donne des cours de piano et anime de fêtes familiales. Cette activité, il la pratiquera pendant plusieurs années. Il paraît que bien après avoir débuté sa pratique analytique, pour subvenir aux besoins de la famille qu’il a fondée sur terres argentines, il continue à donner des cours de piano. Son cabinet d’analyste côtoyait la salle de musique. Ainsi ,il passait peut-être de l’une à l’autre : d’apprendre à lire et exécuter une partition à apprendre à lire et déchiffrer les mouvements intimes des résonances du contre –transfert, en lui.
 

Toujours est – il qu’arrivant en Argentine, il fera une année d’analyse avec Angel Garma, lequel, formé à l’Institut de Berlin, originaire de la ville de Bilbao en Espagne, a du s’exiler en Argentine en 1938.

Il nous est dit aussi, que Garma demanda a Racker des honoraires symboliques, compte ténue de la précarité de la situation de l’analysant.

Il est aisé de supposer que l’analyste, exilé et récemment arrivé à Buenos Aires, pâtissait de la même précarité. Or, c’est parce qu’ils avaient tout perdu , qu’ils étaient en mesure de pouvoir s’en passer du père et de se donner à coeur joie dans une série d’élucubrations psychanalytiques nouvelles.

Ainsi, la nouvelle Association Psychanalytique Argentine, qui allait voir le jour vers 1942 était le fait des exilés. Ils fondèrent leur petite république analytique et prirent racine dans un pays de déracinés. La force et la puissance qui prit le discours analytique en Argentine, traduit sans doute, l’ effet du désir qui les animait.

Revenons vers le parcours de Racker. En fait son analyse avec Garma n’était pas sa première cure. Il avait déjà suivi une analyse à Vienne avec Hans Lampl-De Groot. De plus, admis candidat à l’Institut Psychanalytique de Vienne en 1936 , il y poursuivra sa formation jusqu’à son départ. Un texte clinique présenté en Argentine dix ans plus tard, en 1947, intitulé « Sur un cas d’impuissance, asthme et comportement masochiste », rend compte de la cure d’une jeune homme de 20 ans, laquelle s’était déroulée à Vienne. On conçoit dès lors que le jeune candidat était déjà devenu praticien. Mais alors, comment était-il arrivé à s’orienter vers la psychanalyse ?

Il n’est pas exclu que ce soit par sa formation philosophique, mais aussi, d’après son biographe, par son intérêt portant sur l’occulte. Si l’on tient compte de ce qui nous est transmis par Horacio Etchegoyen, le jeune Heinrich sous l’influence de Oskar Adler, qui fut son maître des années de jeunesse, fut très impressionné par l’ouvrage de celui-ci, « L’astrologie comme science occulte ». Il a été pour quelque chose vraisemblablement dans sa publication en espagnol, en 1956 car il est l’auteur du prologue . Il serait intéressant revenir aujourd’hui sur cette note de présentation, afin de nous faire une idée plus précise de ce que Racker pouvait y trouver. Toujours est-il qu’arrivant à la fin de sa courte vie, se sachant malade, il écrit en allemand une lettre d’adieu, adressée à ses proches , et dans celle-ci, il rend hommage à la mémoire de son maître Oskar Adler. Ce détail est important, car il témoigne de l’importance qui aurait eu pour lui cet auteur. Or, Horacio Etchegoyen ne passe pas en silence la thèse de Fidias Cesio, biographe de Racker, selon laquelle la théorisation analytique du contre-transfert trouve ses origines dans l’intérêt éprouvé par le jeune étudiant pour l’occulte.

Arrêtons-nous sur la théorie du contre-transfert, telle qu’elle est formulée par Racker.

Comme nous le savons, il y fut un des inventeurs. Il a seulement 38 ans et vient d’être nommé membre adhérent de l’APA, quand il y présente sa communication sur « La névrose de contre- transfert », en 1948. Ce travail trouvera une place dans une publication internationale seulement en 1953. Par ailleurs, un autre texte fondateur sur le même sujet, celui de Paula Heimann sera présenté à Zurich , à l’occasion du XVI Congrès International, un an après, en 1949. De ces éléments, nous pouvons déduire que ces deux auteurs qui ne se connaissaient pas, sont arrivés par des voies distinctes aux mêmes conclusions, dans un laps de temps d’un an. Il semblerait par ailleurs, que Racker prit connaissance du texte de Paula Heimann seulement en 1951, ce qui l’encouragea vivement dans sa démarche.

Racker porte son attention sur les processus qui ont lieu chez l’analyste, dès lors qu’il exerce sa fonction. Autrement dit, il est question de prendre en compte les effets éprouvés par l’analyste , lesquels proviennent de son commerce avec l’analysant. Ces effets trouveraient sa cause dans le transfert de l’analysant, en fonction duquel, l’analyste est pris comme un objet libidinal.

Quels sont ces effets ? Ce sont des affects éprouvés par l’analyste pendant la séance analytique, ou bien avant ou après celle-ci.

A cet égard, la clinique du contre transfert concerne la clinique des affects éprouvés par l’analyste dès lors qu’il exerce la fonction analytique. Racker décline dans son étude la série d’affects dont peut pâtir l’analyste , tels que l’angoisse, la colère, la culpabilité, l’ennui, l’envie, l’agressivité et autres.

Or, ces affects peuvent faire obstacle à la poursuite de la cure. Freud l’avait déjà noté, et pour cela, comme Racker le rappelle, Freud convint à la nécessité de l’analyse didactique. Mais, si le transfert qui apparut à Freud comme un obstacle majeur à la poursuite de l’analyse, pu en devenir, grâce à son habile maniement , l’ instrument fondamental de l’analyse, pour quoi ne pas penser qu’il y va de même avec le contre transfert ? Ainsi, en fonction de l’analogie établie entre phénomènes de transfert et phénomènes de contre - transfert, le pas suivant consistera à donner au contre -transfert une valeur d’usage ,et de ce fait le transformer en instrument pour comprendre le rapport de l’analysant à son objet.

On peut noter que cette perspective s’inscrit à l’encontre de ce que Freud énonçait dans ces conseils adressés aux médecins, dès lors qu’il recommandait à ses collègues de prendre comme modèle, au cours du traitement analytique , le chirurgien : « Celui-ci, en effet, laissant de côté toute réaction affective et jusqu’à toute sympathie humaine, ne poursuit qu’un seul but : mener aussi habilement que possible son opération à bien ». Et plus loin : « la froideur de sentiments que nous exigeons de l’analyste s’explique par le fait qu’elle crée, pour les deux parties, les conditions les plus avantageuses ... » (1).

Dans ce même texte, un peu plus loin, Freud parle de la nécessité pour le praticien de se soumettre à ce qu’il appelle « une purification psychanalytique », laquelle s’accomplit grâce à une analyse chez un analyste qualifié.

Or, Racker n’ignore pas la nécessité de l’analyse didactique. Il a lui- même repris une analyse à cette fin avec Marie Langer, dès 1942. Mais il pense, au contraire, que si les analystes n’ont pas pris suffisamment en compte le contre transfert, cela témoigne d’un défaut de leur formation, ou bien d’un reste non élaboré par l’analyse didactique.

Ainsi, par le traitement du contre – transfert, il vise à résoudre une question attenante à la formation analytique dans la temporalité du post-analytique.

De ce fait, le refus de la part des analystes de prendre en compte le contre transfert, serait pris par Racker comme étant la preuve des conflits infantiles à l’oeuvre par un défaut d’analyse. Il critique alors le mythe « de l’analyste sans angoisse et sans colère », lequel proviendrait de la persistance de processus d’idéalisation névrotiques.

Nous pouvons constater que Racker a eu l’intuition d’un vrai problème. Ce problème concerne la position de l’analyste, qui dans la direction de la cure opère à la place de l’objet pour l’analysant. Aussi, il constate que pour prendre correctement cette place, l’analyste doit déchoir de l’illusion qui consiste à croire que par son analyse didactique il serait parvenu à liquider définitivement en lui tout complexe névrotique. Racker rappelle aux analystes qu’il y a de l’incurable, et cet incurable reçoit chez lui le nom « d’enfant névrosé ». Dire que l’analyste, tout en étant adulte et analyste, sera toujours un enfant et un névrosé, revient à mettre l’accent sur ce qui reste d’ incurable à la fin de l’analyse didactique.

Nous y touchons du doigt le réel en jeu dans la formation de l’analyste et dans ces conditions le contre transfert est une réponse conçu par Racker face au réel.

Cette réponse, comment traite-elle le réel en jeu ?

Une fois qu’il est admis que l’analyste est un sujet névrosé et qu’il est en conséquence en proie aux affects de la division subjective, le pas suivant consiste à proposer une issue qui , au lieu de résoudre le problème, en fait consister son impasse. En effet, rendre symétriques et réciproques les positions subjectives de l’analyste et de l’analysant , consisterait à ramener la direction de la cure sur l’axe imaginaire, dont le prototype est la relation en miroir (2). C’est vers ce point qui converge l’appel de Racker vers une position « d’égalité » entre les partenaires de la situation analytique. Il pense ainsi résoudre « l’inégalité social » qui se fait jour dans la petite société analytique, constitué par l’analyste et le patient. Cependant, le nivellement de la relation entre les deux partenaires produit comme conséquence l’exclusion de la dimension foncièrement hétérogène, discordante et radicalement Autre, qui est la dimension propre à l’inconscient. . Ce point problématique a été mis en lumière par J.A.Miller dans ces travaux consacrés à la lecture critique du contre transfert (3).L’inconscient freudien, en tant que dimension tierce, hétérogène, présentifie toujours « l’Autre scène », celle qui régit le jeu d’ombres du théâtre de la réalité commandée par le fantasme, ou s’agitent les protagonistes de toute relation duelle.

Ainsi, évacuant la dimension de l’inconscient et prenant appui sur une position égalitaire et fraternelle, l’analyste d’après Enrique Racker, serait en mesure de parvenir à la compréhension du vécu de son analysant, s’identifiant à lui. Que l’identification soit dite concordante ou bien complémentaire, peu importe, puisque le mode de l’une et de l’autre repose sur le même principe. Cette identification aboutit à la communication basée sur la communion entre les partenaires , de sorte que l’analyste peut admettre, pour ensuite faire admettre à son analysant ,  : « Ceci,(toi) c’est moi », et aussi « Ceci (moi), c’est toi ». De sorte que l’analyste et l’analysant se retrouvent dans le prochain.

Or, ce mode de relation pourrait rouler sur des pétales de roses. Mais, ce n’est pas le cas. Les complications surgissent alors de la même racine qui rend impossible l’amour du prochain. Cette racine est celle de la satisfaction pulsionnelle d’après Freud, en fonction de laquelle, au lieu d’aimer mon prochain j’ai envie de le détruire, de le soumettre, de me servir de lui comme objet de satisfaction à des finalités pulsionnelles.

C’est à cette satisfaction comportant l’au -delà du principe du plaisir que Lacan appelle jouissance. Dans ce sens, l’obstacle fondamentale qui s’érige devant le commandement d’aimer son prochain, est celui de la volonté de jouissance, c’est à dire de la volonté de satisfaction pulsionnelle.

On sait bien que la volonté de satisfaction de la pulsion ne cesse pas de s’accomplir, y compris à travers le symptôme. Le symptôme résulte d’un compromis et son paradoxe consiste à assurer une satisfaction au sujet, justement sous le mode d’une souffrance névrotique.

Or, la psychanalyse sert à quelque chose, sa finalité ne se trouve pas ailleurs qu’à alléger le sujet de la souffrance et de l’entrave du symptôme. Mais pour y parvenir, il est nécessaire d’isoler le symptôme comme étant le pivot de la cure. C’est autour du symptôme que le processus analytique trouve son axe. C’est le recentrage de la pratique qui est opéré par Lacan, restant ainsi fidèle à la veine freudienne.

Si l’expérience analytique trouve son axe dans le symptôme, il devient alors possible de déchiffrer son sens , lequel s’avère être un sens sexuel comme Freud le met en évidence dans la XVIIèmè Conférence. Or, « ce que le symptôme veut dire » ,et qui s’avère relever du sens du sexuel, n’épuise pas pour autant «  ce qui s’y satisfait au niveau la jouissance ». C’est là - dessus que Freud met l’accent, quant il évoque la Bedeutung de jouissance du symptôme, dans la Conférence XXIII « Les voies de formation du symptôme ».

Or, déchiffrer le symptôme n’est possible que parce qu’il y a le transfert.

Le transfert sur un de ses versants, fait émerger la supposition que le symptôme veut dire quelque chose. Le transfert est un phénomène qui se produit comme conséquence de la parole. Si on va parler à un analyste c’est parce qu’on croit que ce dont on souffre veut dire quelque chose qui nous échappe , et par conséquence, on veut le savoir.

Ainsi, l’analysant croit que ce savoir qui lui échappe, s’inscrit à la place de l’analyste. Parce qu’il le croit, il suppose que l’analyste possède en lui l’objet merveilleux, « l’agalma », qu’Alcibiade suppose Socrate contenir. Cet objet, qui condense l’énigme du désir aussi bien que la condition de la jouissance pour l’analysant, est l’objet en jeu dans le transfert. Comme le transfert c’est de l’amour, de l’amour véritable d’après Freud, le transfert est un mirage qui se soutient d’une croyance, et dont la source est le rapport du sujet à l’objet de la pulsion.

Le quid de l’opération analytique consiste à s’en servir à bon escient, c’est- à -dire pour satisfaire les finalités de l’analyse, qui sont des finalités de déchiffrage de la jouissance en jeu dans le symptôme.

Quelle doit être la position de l’analyste pour répondre au devoir éthique de s’en servir de ce dieu redoutable qui est Eros, pas pour assujetir et aliéner l’analysant mais pour l’aider à se dégager de l’embrouille dont il pâtit ?

Il est nécessaire que l’analyste acquiesce à tenir pour son analysant la place de l’objet, sans s’y croire, c’est à dire sans croire qu’il a en lui quelque chose qui le rend désirable. Cette position comporte de ne pas se prendre effectivement comme étant celui qui sait. Il ne pense pas savoir. Il offre une place vide, vacante de tout savoir préalable, afin que l’analysant par son travail d’analysant, produise un savoir qui vient à la place de la vérité.

Or, cette position comporte que celui qui travaille dans une expérience d’analyse , celui qui produit par la libre association , c’est l’analysant. C’est lui qui met au travail sa division subjective. A cet égard la position du sujet se déduit comme effet de la parole analysante. Le sujet, comme effet de la parole, est ce qui est supposé dans la parole, à la place des effets de vérité.

L’analyste tranche. Par son acte , qui est un dire, il fait passer la parole de l’analysant du coté de la lecture d’un texte écrit. De cette façon la parole devient lecture du texte inconscient.

Qu’est qu’on lit ? On lit par les moyens de la parole le sens de lalangue. Ce qui fait sens dans la langue n’est pas univoque. Ce qui domine dans lalangue ce sont les équivoques du son et du sens. La langue sait y faire avec l’équivoque, ce pourquoi le domaine du Witz, c’est à dire du mot d’esprit caractérise les formations de l’inconscient.

C’est parce qu’on a été parlés dans une langue dite maternelle, que cette langue a laissée des traces sur le corps. Des traces qui sont des effets de la langue sur le corps. Parce que nous sommes des êtres parlants, nous sommes affectés par la langue. La langue se noue au corps, et il en résulte de ce nouage des effets de sens sur le corps, des effets de jouissance. Les échos et la résonances de la langue sur le corps caractérise le jouir pulsionnel.

Le désir de l’analyste est une fonction. En tant que telle, elle n’a rien de pathétique, mais comme Lacan l’a mis en lumière, elle relève d’une logique . Cette fonction consiste à ce que l’analyste occupe pour l’analysant la place de la cause du désir de déchiffrage. Pour faire valoir la fonction du désir de l’analyste, l’analyste doit être un analysé qui a dégagé dans son analyse, la cause de son désir dans le fantasme ,et l’être de jouissance de son symptôme.

Dans ces conditions il pourra « laisser de côté toute réaction affective et jusqu’à toute sympathie humaine », pour opérer, selon la prescription freudienne, d’une façon adéquate. On conçoit dès lors que la recommandation de Freud vise à dégager la place de l’analyste, et sa fonction, de tout pathos provenant des effets de la langue sur lui. Ce qui veut dire que les associations de son analysant, les résonances de lalangue convoqués par lui, ne doivent pas l’affecter, pour qu’il soit en mesure de faire coupure dans les dits de l’analysant, afin de le séparer de la jouissance.

Si l’on revient maintenant vers le contre transfert selon Racker, on se rend compte que nous sommes devant un analyste qui se prend lui même comme sujet d’observation et d’étude. Il poursuit son analyse au cours de la séance de son analysant. Ce n’est pas grave, cela peut arriver. Mais ce qui est fâcheux ce que ce processus non seulement déloge l’analysant et la lecture de son inconscient, mais aussi, par un mouvement imparable, l’analyste fait de son analysant son objet. L’analysant devient l’objet du fantasme de l’analyste et à cette place, il se fait l’équivalent du surmoi. Là -dessus, Racker est très généreux au niveau des exemples et de vignettes cliniques qu’il propose, notamment dans le chapitre IV de son Sixième étude sur la technique analytique, consacré aux Significations et usages du contre transfert.
 

Or, il serait injuste de ne pas faire état ici de ce que Racker voudrait élucider à travers le contre transfert. Il s’agit comme il le dit, « d’être conscient du facteur personnel » ou bien de ce qu’il appelle « l’équation subjective » de l’analyste. On constate que l’analyse du contre transfert dans les cures avec des sujets masculins, l’amènent à prendre en compte son propre sadisme à l’égard du patient. Il trouve les racines de ce sadisme dans une identification à la mère dominatrice et sadique , la mère Moloch.

La mère Moloch de Racker est une version de das Ding, la Chose freudienne. C’est au fond avec elle qui se joue la partie pour lui. On peut supposer que Racker à inventé la théorie du contre transfert pour se libérer de l’emprise de la mère Moloch. Or l’emprise de la mère Moloch, c’est l’emprise du désir de la mère inassouvie , celle dont le sans limites de la demande, incarne pour l’enfant la férocité du surmoi et le sacrifice de son être.

A cet égard, on peut proposer comme hypothèse de travail, que la réponse de l’analyste en termes de contre transfert, comporte une défense face au désir de l’Autre et une défense face à l’angoisse causée par l’énigme du désir de l’Autre. Or, cette défense, de comporter le lapsus de l’acte, voire l’abandon de la place de l’analyste , du moment qu’il se prendra lui même comme objet d’étude et de réflexion, cette défense, se paye à son tour de culpabilité. On aurait ainsi une version de l’analyste qui, tel Sisyphe, se trouverait contraint de faire à chaque fois, dans chaque séance, le mouvement sans fin de vidage de la jouissance.

C’est laborieux, et on conçoit que ce soit fastidieux et pénible.

C’est ici qui prend sens la proposition de Lacan qu’il appelle la passe. La passe comporte la sortie de l’impasse que l’invention de l’usage du contre transfert opacifie. La passe consiste à rendre compte de la logique de l’expérience d’une analyse. Logique qui permet de cerner le passage de l’analysant à l’analyste. Au fond l’analyste est un analysé qui a dégagé dans son analyse le sens joui de son symptôme. Ce faisant, il a dégagé le plus singulier de sa jouissance, c’est à dire de sa satisfaction. Il met ainsi au clair un mode de rapport à l‘objet de la pulsion, à partir duquel il a fait exister et consister un Autre comme partenaire. Dans ces conditions quelque chose cesse de s’écrire du coté de la nécessité du symptôme, et de cette chute, l’analyste, en tant qu’il choit à la place de la Chose, en fera les frais. L’analysant part, ayant laissé dans le cabinet de son analyste , pour de bon, la Mère Moloch et son cortège d’affects.

Il s’en sépare dès lors qu’il a pu désarticuler le mécanisme qui entretenait le monstre en vie. Il saura alors que la Mère terreur, la mère Moloch , n’était rien d’autre que l’écho dans le corps des traces de la langue, de la langue maternelle dont sa mère s’était servi pour lui en parler. Quand il le saura, d’arriver à ce point de « purification » de son inconscient, selon le terme freudien, il pourra se prêter comme objet , pour servir à d’autres à se dégager du monstre de la servitude langagière. Il aura ainsi des chances d’occuper cette place sans être affectée.

1.  S. Freud, Conseils aux médecins (1912),  in La technique psychanalytique,P.U.F., page 65 et 66.

2. Ce point à été cerné par J.A.Miller, voire à ce propos son texte « Contre transfert et intersubjectivité » ,in La Cause freudienne, N° 53.

3. C’est sur ce point qui porte le déplacement opéré par P. Heiman d ‘après J.A.Miller dans l’article cité.