MAURICIO
GOLDENBERG : « L’INSTITUTION COMME LIBERTE »
Nous
poursuivons ce soir le cycle de conférences sur des auteurs et personnalités
argentines qui se sont illustrés dans le champ de la psychiatrie,
la psychanalyse et la santé mentale, dans l’esprit de continuer
à nourrir les échanges franco-argentins, si riches dans leurs
histoire et contenus.
A ce
sujet, et avant de rentrer dans le vif du sujet de ce soir, je me permets
de vous signaler le prochain débarquement en Europe de la traduction
à l’espagnol des Estudios
psiquiátricos de Henri Ey, travail aquel nous avons
beaucoup contribué en collaboration avec Juan Carlos Stagnaro et
la branche argentine de l’Association. Nous avons d’autres projets en cours
que nous porterons à votre connaissance lorsque leur réalisation
aura pris une forme définitive.
Aussi,
nous voulons saluer le lancement mercredi dernier de la Nouvelle
Revue Argentine, sous une pluie de pétales de rose.
Nous avons été honorés et obligés d’accepter
la généreuse invitation de sa directrice de publication,
Diana Quattrocchi-Woisson, pour une collaboration étroite, assidue
et durable pour ce magnifique projet. Nous vous invitons à visiter
son site internet, et aussi songer à nourrir le contenu de ses pages.
En
ce qui concerne ce soir, nous avons pu mesurer à quel point la figure
de Mauricio Goldenberg continue à être chère et mobilisatrice
des esprits et volontés. Nous avons reçu une pluie de courriers
d’adhésion, que malheureusement nous ne pourrons pas lire en intégralité
afin de préserver notre temps de ce soir pour nos prestigieux orateurs.
Qu’il me soit permis ici simplement de les mentionner, et de vous inviter
prochainement à les consulter
dans la page qui leur sera consacrée dans notre site internet.
Tout
d’abord, Mme Isabel Goldenberg, qui depuis Washington nous fait part de
son émotion et de sa volonté d’être ce soir parmi nous
à travers ses aimables encouragements. Nous ne manquerons pas de
lui faire un compte-rendu de notre rencontre, et mieux encore, de l’informer
le moment venu lorsque le tournage de notre rencontre réalisé
ce soir par l’équipe de la Fondation
Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) coordoné par Lisette
Winkler sera disponible sur le web.
Nous
ferons de même pour tous les collègues qui nous ont fait part
de leur adhésion, que je cite dans l’ordre de leur d’arrivée
: le Dr Graciela Onofrio de l’Hospital Italiano de la Capitale Fédérale,
le Dr Tuncho Levav de Jésuralem, les Drs Monserrat Canal I Rifa
et Anna Segura I Fontova de l’Institut IPSI de Barcelone, le Dr Víctor
Korman, de Barcelone, le Dr Ricardo Sarmoria de Buenos Aires, le Dr Carlos
Bucahi de Buenos Aires, Licenciada Christina Enghel de la Universidad Nacional
de Lanús, le Dr Vicente Galli de la Sociedad Argentina de Psicoanálisis,
les Drs Susana et Hernán Kesselman de Buenos Aires et le Dr Ana
Diamant, de la Faculté de Psychologie de l’Université de
Buenos Aires. Qu’il soient ici remerciés pour leurs témoignages
chaleureux.
De
notre part, et avant de comencer notre programme, nous remercions la Maison
de l’Amérique Latine et Mme Dolores Ludger pour leur bienveillance
à l’égard de notre association et pour nous permettre le
privilège de disposer de cette salle, dans ce lieux si prestigieux
et chargé d’histoire.
Nous
commençons ce soir par quelques images d’un documentaire réalisé
par la Faculté de Pychologie de Buenos Aires, qui nous permettra
d’avoir un instant parmi nous la présence de Mauricio Goldenberg,
ce qui nous donne l’occasion de rappeler qu’il s’est déjà
rendu à Paris en 1988 à l’occasion d’une rencontre organisée
autour de lui en 1988 à Prémontré, dans le service
du Dr Roland Broca.
Nous
entendrons par la suite les contributions de Mme Diana Quattrocchi-Woisson,
historienne et chercheur au CNRS, longtemps présidente de l’Observatoire
de l’Argentine contemporaine, et actuelle directrice de la Nouvelle
Revue Argentine, qui va nous présenter « Le contexte socio-politique
: l'Argentine des années contestataires ».
Ensuite,
nous entendorns le Dr Nelson Feldman, ancien interne del Lanús,
actuellement en exercice à Genève, qui a fait le voyage jusqu’à
Paris pour nous parler de « L'enseignement de Mauricio Goldenberg
à travers le temps ».
Nous
réservons pour la fin les « Témoignage » et «
Souvenirs personnels » des Drs Valentín Barenblit, le bras
droit de Mauricio Goldenberg pendant l’aventure del Lanús, qui a
eu l’amabilité de venir ce soir de Barcelone malgré une agenda
très chargée, et qui a collaboré avec beaucoup d’enthousiasme
à l’organisation de notre rencontre. Et aussi, notre assidu collaborateur
et Membre d’honneur de notre association, le Dr Juan David Nasio, protagoniste
lui aussi de l’expérience del Lanús , et qui a été
un des moteurs, y compris dans les moindres détails, de l’organisation
de notre rencontre de ce soir.
Pour
terminer, je remercie au nom du bureau de l’Association tous ceux qui se
sont déplacés ce soir et qui donnent vie à nos activités.
Merci, et place aux choses sérieuses.
Eduardo
Mahieu
_________________________________________________
«
TEMOIGNAGE »
VALENTIN
BARENBLIT |
 |
Bonsoir
à tout le monde.
Pour
commencer, je voudrais remercier très spécialement l’Association
franco-argentine de Psychiatrie et de Santé Mentale de m’avoir invité
à participer à cet acte. C’est pour moi un vrai plaisir de
partager avec vous cette réunion d’hommage a notre Maître,
le Professeur Dr. Mauricio Goldenberg.
Je
voudrais faire remarquer aussi que d’autres collègues fraternels
"lanusinos", que je ne vais pas mentionner dans cette opportunité
par crainte d’omettre quelqu’un, pourraient occuper cette place dans la
réunion que vous avez convoqué ce soir. Mais probablement
ma proximité géographique de résidence à Barcelone,
ainsi comme l’aimable intervention de mon cher ami le Dr. Juan David Nasio
et la cordiale attention du Dr. Eduardo Mahieu, me donnent le privilège
d’occuper cette place.
Ce
soir, nous sommes réunis à Paris pour évoquer l’oeuvre
et la mémoire d’un homme qui nous est très cher. J’ai été
sollicité par les collègues de l’Association franco-argentine
pour évoquer devant vous mon témoignage autour de l’aventure
humaine et intellectuelle très particulière qu’incarne Mauricio
Goldenberg. Cette aventure est aussi celle d’un lieu, « El Lanús
», un hôpital de la grande banlieue de Buenos Aires, peuplée
d’habitants aux statuts socio-économiques souvent bien précaires.
Ajoutons celle d’un groupe d’hommes et femmes engagés dans un projet
d’attention aux personnes souffrantes dans leur psychisme. Tous ensemble,
nous avons accompli une aventure intellectuelle, marquée par l’engagement
dans une entreprise thérapeutique au plus près de valeurs
humanistes communes, et en même temps ouverte aux avancées
de notre science si singulière. Mais aussi, nous sommes liés
enfin par notre destin commun, étroitement lié aux avatars
que l’histoire de notre pays d’origine nous a réservé. Il
m’a été donné d’être un protagoniste de cette
aventure, et c’est de cela que je viens témoigner.
L’homme
Evoquer
Mauricio Goldenberg implique avant tout remarquer sa condition d’une grande
humanité. Nous avons à faire avec un homme qui a consacré
sans retenue sa vie au service de ses idéaux. Sa passion pour la
musique et la littérature l’ont accompagné pendant sa jeunesse,
à un point tel que ses soirées passées aux «
poullailler » du Teatro Colón ont failli le détourner
de ses études de médecine, aux temps d’une Argentine opulante.
Il évoque de manière anécdotique comment après
un premier échec lors d’un examen, grâce à la tenace
insistance de sa mère, « comme une bonne mère juive
», il se décide à poursuivre ses études à
la Faculté de Médecine et n’obtient par la suite que des
bons résultats. Sa vocation de service en sort renforcée,
et comme il le dit lui-même, celà lui a coûté
parfois très cher : « Je suis près de mes
80 ans. Pratiquement j’ai consacré toute ma vie à l’exercise
professionnel. En tant qu’être humain, j’ai vécu des choses
douloureuses et d’autres très bonnes et généreuses
pour moi ». Ces mots, prononcés dans les années
’90 font référence discrète aux temps de la dictature,
que nous avons subi en chair propre et payé par notre exil. Le personnage
de Mauricio Goldenberg incarne ce paradoxe de notre pays, capable d’une
grande richesse et créativité, mais aussi capable de nous
réserver ses côtés les plus obscurs.
Cette
période funeste de notre histoire a permis cependant d’établir
des nouvelles solidarités. Avec d’autres collegues, nous avons évoqué
à multiples reprises les deux exils engendrés par la dictature
qui a eu lieu entre 1976 et 1983. De notre exil, celui qu’on entend au
sens habituel du terme, nous avons rendu hommage à l’ « exil
interne », celui subi par tous ceux qui sont restés dans le
pays, gardant en silence leur parole, mais sans arrêter leur pensée.
Eux aussi, ont réussi à conserver les noyaux les plus précieux
de la culture à l’intérieur du pays. Nourrir ce noyau de
culture est ce que Mauricio Goldenberg a fait tout au long de sa longue
carrière de Maître, médecin, psychiatre
et humaniste, comme le dit le titre du recueil de témoignages
qui lui a été consacré en 1996 par la Faculté
de Psychologie de l’Université de Buenos Aires.
Le
Maître
Quels
ont été les principales caractéristiques qui lui ont
fait valoir autant de titres mérités ? Mauricio Goldenberg
a avancé son époque dans le domaine de la santé mentale.
Son oeuvre eut une telle répercussion qui l’a transformé
en Maître de la psychiatrie et la santé mentale en Argentine,
mais aussi dans tout le continent américain. Souvent on s’est demandé
comment était possible que l’on évoque « El Lanús
» non seulement en Argentine, mais aussi dans différents pays
du monde.
Mauricio
Goldenberg non seulement a travaillé durement pour favoriser l’articulation
entre la psychanalyse et les soins pour la santé mentale, mais aussi
avec d’autres écoles différentes, avec des théories
et techniques diverses, exigeant pour seule condition qu’elles soient compatibles
avec le cadre idéologique général de son Service,
en somme avec ses préceptes éthiques. Son oeuvre permit dans
notre pays une nouvelle façon de reconnaître les troubles
mentaux, et, par suite de cette nouvelle reconnaissance, donner lieu à
une nouvelle attitude éthique tant dans les styles d’enseigner,
comme d’apprendre et soigner.
J’ai
souvent dit que les professeurs ont des élèves, mais les
maîtres ont des disciples. Mauricio Goldenberg est un de ces Maîtres
qui établissent les bases d’une école, d’une orientation
et d’une attitude d’enseignement. Nombreux sont ceux qui s’y reconnaissent,
même ici en France, dans une terre si prodigue en Maîtres et
Ecoles. Comment a t-il réussi cela ? Nous pouvons dire qu’à
sa généreuse vocation, à son appartenance et engagement
avec les aspects les plus éthiques et progressistes de l’Université
Argentine, il a associé une qualité pas si fréquente
: la confiance dans ses rapports avec les plus jeunes. Et cette confiance
est sans aucun doute un des attributs des grands Maîtres. Car avoir
confiance et respect pour ses élèves, permet non seulement
de transmettre un enseignement, mais surtout elle implique un grand respect
pour la liberté créative de chacun et une ouverture au débat.
C’est à dire la reconnaissance chez l’autre de l’autonomie et l’intelligence.
«
Mouiller le maillot »
Qu’avait
ce service pour nous lier de cette manière si particulière,
qui nous marque encore aujourd’hui ? C’est à l’aide d’une métaphore
que nous nous sommes posés la même question jadis : «
Le
maillot du Lanús, de quelle étoffe est faite? Quelles fibres
le constituent? De quelle constellation de traits identificatoires est
conformée? Une alliance d’associations footballistiques nous a conduit
du maillot comme signe distinctif et d’identité jusqu’à l’expression
suivante : le Lanús est un peu plus qu’un service »
Peut-être
il faut préciser pour les collègues français, qu’un
des traits identificatoires de cette banlieue de Buenos Aires est son équipe
de football, précisément "Lanús", une équipe
de prémière division au budget modeste. Mauricio Goldenberg
raconte comment confrontés aux problèmes d’alcoolisme des
jeunes des bidonvilles, la question de la santé mentale lui apparaît
inextriquablement soudée aux conditions sociales où elle
est inscrite. A l’occasion, l’organisation d’un championnat de football
pouvait servir d’articulation entre les différentes réponses
à apporter. El le club lui a proposé son terrain de football
pour que les jeunes puissent s’entraîner les trois jours laissés
libres par l’équipe professionelle. Ils jouaient avec le même
maillot rouge, celui du Lanús. Alors on l’interpellait : c’est cela
la santé mentale? Mais oui, bien sûr, c’est cela la santé
mentale.

El
Policlinico de Lanús et la structure fonctionelle du Service
El
Policlinico de Lanús était un hôpital de haute complexité
avec tous les services medicaux traditionnels. L’hôpital avait une
consultation externe et 500 lits pour l’hospitalisation. Le Service de
Psycopathologie et Neurologie fondé par Mauricio Goldenberg a commencé
par une petite consultation externe et pendant l’evolution qu’il a developé
depuis sa fondation en 1956, grace à la grande labeur réalisé
par le Maître et ses collaborateurs, il agrandit ses objectifs et
ressources arrivant a constituer une complexe structure fonctionelle et
opérative avec des activités d’assistance, enseignement et
investigation.
Cette
organisation se concrétisa dans des "Departements" et "Sections"
qui se constituaient organiquement de la façon suivante : consultation
externe (enfants, adolescents, adultes et geriatrie), internation avec
32 lits pour femmes et hommes, hôpital de jour, interconsultation
et psychiatrie communautaire. Les lieux où toutes ces aires collaboraient
furent celles de l’enseignement, investigation, famille, groupes alcoolisme
et toxicomanies. Aussi, il a été crée un club de post-cure
pour la réhabilitation qu’on a nommé "Amanecer". Je dois
faire remarquer que la complexité de
l’activité
realisée était coordonnée dans l’espace nommé
"Consejo Directivo", où chaque semaine les coordinateurs des aires
mentionnés se réunissaient avec notre cher Maitre, pour examiner
et actualiser les projets et necessités des differentes aires, établissant
aussi de manière démocratique des canaux de communication
bidirectionelle.
La
perspective interdisciplinaire
El
Lanús a été un des premiers lieux de travail interdisciplinaire
où des psychologues diplômés ont pu travailler avec
un grand confort, et ainsi devenir responsables de départements
ou aires de service qui ont acquis un grand prestige. En quelque sorte,
ils pouvaient trouver un lieu symétrique avec les médecins
et le reste du personnel. De ce point de vue aussi, Mauricio Goldenberg
a favorisé et stimulé le déployement d’une conception
de la démocratie qui n’est pas uniquement réservée
à la vie et au gouvernement des pays. Elle intéresse aussi
les relations à l’intérieur de l’institution, ainsi que tout
autre groupe humain entretenant des liens de travail ou professionnels.
Alors, lorsqu’on me demandait si les psychologues, les assistants sociaux,
les infirmiers, les sociologues ou anthropologues participaient à
la thérapeutique, je ne pouvais répondre que par l’affirmative.
Et dans ce contexte, je peux dire que ces professionnels ont toujours eu
une place remarquable et, à certains moments de la vie du service,
fondamentale.
Les
dictatures
Comme
nous l’avons déjà dit, l’histoire del Lanús est aussi
l’histoire du pays. 1966 a été une année importante,
car la dictature du Général Onganía allait infliger
aux scientifiques argentins un coup des plus sombres. Lors d’une nuit connue
comme "La Noche de los bastones largos" (la Nuit des bastonnades), plusieurs
universitaires sont tabassés et expulsés. L’attaque la plus
brutale a été réservé pour la Faculté
de Sciences Exactes, dans une sorte d’avant goût de ce qui serait
l’attaque contre l’ensemble de la culture lors de la dictature suivante.
L’étoffe de Mauricio Goldenberg se revèle aussi dans ces
moments. En réponse à cette attaque, il a été
un des rares à démissionner à son poste universitaire,
entraînant la solidarité de l’ensemble de l’équipe
du Lanús, lors d’une discussion collective.
En
1971 Mauricio Goldenberg est parti pour créer un nouvel département
de Santé Mentale à l’Hospital Italiano dans
la Capitale Féderale. Dans ce projet, avec quelques collaborateurs
de notre service, il dévelopa pendant des années un excellent
travail suivant le modèle du Lanús. Il a continué
son excellente labeur dans ce hôpital jusqu’à la fin de 1976,
date de son exil au Vénézuéla avec sa famille.
Il
m’a laissé l’énorme responsabilité d’hériter
de la fonction de Chef de Service avec l’approbation et consentement des
professionnels du Service. Ce furent cinq ans de dure labeur, avec l’exigence
de poursuivre l’action de notre institution dans l’esprit que nous avions
forgé pendant les décennies passées. Mais, en Semaine
Sainte de 1976, je suis démis de toutes mes fonctions par le retour
au pays d’une dictature militaire, sans doute la plus sanglante. Quelque
temps après, en avril 1977, je suis contraint de partir en exil
dans la terre catalane où je vis encore. Lorsqu’il arrive que des
professionnels prestigieux, des gens qui occupent des positions importantes
dans les différents dispositifs académiques, m’appellent
"Jefe", sincèrement j’ai un sentiment de dépersonnalisation,
ou tout au moins d’étrangeté, même si je reconnais
en cela une partie de l’héritage que nous avons laissé.
Ces
remarques me font évoquer tout particulièrement Marta Brea
pour lui rendre hommage. Cette psychologue engagée, fut enlevée
en 1977 par une opération paramilitaire au sein du service, alors
qu’elle exerçait son travail. Devant les yeux perplexes de ses collègues,
paralysés par une mitrailleuse qui sortait d’une voiture, elle a
été emportée et devenue ce que l’histoire du pays
nomme une desaparecida. Plus jamais nous n’avons eu des nouvelles
de cette psychologue reconnue par son dévouement au travail, ses
qualités d’enseignement, et surtout d’engagement et hônneteté.
Par ce témoignage ému, je voudrais aussi rappeller à
quel point notre service n’a pas été tout le temps une fête,
mais l’engagement de ses membres entier et sans failles.
Los
sueños, sueños son
Le
poète nous a appris que la vie est rêve, et que les rêves,
rêves sont ; mais la vie même nous a appris qu’elle est aussi
deuil, et que les deuils, deuils sont. Nous devons apprendre à oublier
certaines choses que nous aurons voulu dire, car pour se rappeller,il faut
aussi oublier. Alors pour conclure mon témoignage ce soir, je voudrais
peut-être ramener à la mémoire, dans l’esprit des mémorables
fêtes du service, certains aspects joyeux des Journées
organisées en 1992 pour commémorer le 35° aniversaire
du service. Cette rencontre s’est déroulé pendant plusieurs
jours où nous avons discuté, échangé et fêté
une nouvelle fois l’ensemble de l’oeuvre de Mauricio Goldenberg. Ce fut
une nouvelle fois l’occasion de se retrouver ensemble et de partager avec
les nouvelles générations le rayonnement de notre aventure.
Lors d’une parodie qui n’épargna personne, nous avons chanté
ensemble sous les airs de La Marseillaise : "A los enfants du Grand
Lanús". Comme un regard tendu vers le futur. Merci beaucoup
pour votre attention.
- Mauricio
Goldenberg, Maestro, médico, piquiatra, humanista, Testimonios
para la experiencia de enseñar, Publicación de la secretaría
de Cultura y Bienestar Universitario de la Facultad de Psicología
de la UBA.
___________________________
Souvenirs
personnels,
Juan
David Nasio |
 |
J’ai connu
Mauricio Goldenberg en mars 1962. En ce début d’année scolaire,
j’entrais, très jeune étudiant en médecine, au C.H.U.
de Lanús pour effectuer mes 4ème, 5ème et 6ème
années d’études médicales. J’avais choisi délibérement
de terminer ma formation dans l’hôpital de Lanús parce que
j’avais l’intention, une fois médecin, d’entrer dans le service
de Psychoapthologie déjà très réputé
dirigé par Goldenberg, et faire ma spécialité en psychiatrie.
Je me disais qu’en étant présent dans l’Hôpital ce
serait plus facile ensuite d’intégrer l’équipe du Service.
C’est ainsi qu’en 1964, déjà médecin, j’ai été
accepté pour faire partie de la première promotion des internes
formés à Lanús. Je disais en commençant que
j’ai rencontré Goldenberg en mars 1962, parce que c’est lui qui
avait été désigné par le directeur général
de l’hôpital pour accueillir les nouveaux étudiants en médecine.
Je ne me souviens plus de ce que Goldenberg avait dit dans ce discours
de bienvenue, mais je me souviens nettement du ton rassurant avec lequel
il nous parla et de l’enthousiasme qu’il suscita en nous tous. Plus tard,
en le voyant s’adresser au malade dans le cadre de sa Consultation, j’ai
retrouvé la manière qu’il avait eue de s’adresser à
nous : compétent, serein et chaleureux. Voilà le style même
qu’il a su me transmettre en acte tout au long des années où
j’ai eu le privilège de le côtoyer. En effet, un maître
ne transmet pas tant ce qu’il dit, ni même ce qu’il fait,
mais ce qu’il est. Et quand Goldenberg s’adressait au patient, il
était non seulement le clinicien sagace et expérimenté,
il était surtout heureux de faire ce qu’il avait à faire
et de le faire bien. C’est bien cette joie spontanée qu’il m’a transmise
et qui me fait toujours penser à lui lorsque, à mon tour,
je suis heureux de réusssir à communiquer profondément
avec mes patients.
Hormis
cet enseignement digne des grands maîtres, nous avons reçu
à Lanús la formation la plus complète qu’un jeune
médecin puisse espérer. Nous formions un petit groupe de
15 internes qui avions le privilège de circuler d’un département
à l’autre du service : lorsque nous étions dans le Département
d’hospitalisations, nous aprenions la clinique psychiatrique ; dans le
Département des thérapies groupales, nous nous exercions
à la dynamique de groupes ; dans le Département des thérapies
familiales et de couples, nous nous occupions du suivi thérapeutique
des familles des schizophrènes ; dans le Département consacré
aux adolescents, nous apprenions à accompagner l’adolescent dans
sa crise ; et lorsque nous nous rendions dans le Département de
Psychiatrie infantile, nous découvrions les bases de l’écoute
d’un enfant et de ses parents ; et enfin, lorsque nous accompagnions Valentín
Barenblit dans ses missions auprès des autres Services de l’Hôpital,
nous apprenions à parler à des confrères d’autres
spécialités que la nôtre. Or, cette richesse des enseignements
au sein du service, se doublait de l’apport des enseignements venus de
l’extérieur et dispensés par les meilleurs psychanalystes
argentins de l’époque qui acceptaient avec enthousiasme de quitter
leurs consultations de Buenos Aires pour venir à Lanús et
nous introduire à la psychanalyse. Je garde le souvenir vivant des
cours de José Bleger, de David Liberman, de Joel Zak, de Betty Grunfeld
et de beaucoup d’autres grandes figures de l’Association Psychanalytique
Argentine. Bref, nous avons été les enfants choyés
par les meilleurs représentants d’un des plus riches époques
de la psychiatrie et de la psychanalyse argentine. Quelle chance nous avons
eue !
Je
voudrais conclure en déclarant ma fervante reconnaissance à
ce maître inégalé de la clinique psychiatrique. Je
n’oublie pas d’abord que c’est lui et José Bleger qui furent mes
parrains poiur l’obtention d’une bourse octrayée par l’Ambassade
de France en Argentine afin de venir étudier à l’Ecole Freudienne
de Paris. Il m’a encouragé et soutenu pour venir en France.
Aujourd’hui,
46 ans après ces années inoubliables de Lanús, Goldenberg
reste toujours présent en moi, dans le style de ma pratique de psychanalyste
et d’enseignant. En écrivant ce témoignage je me suis entendu
l’appeler « Chef » - comme nous l’appelions tous – et
lui de me répondre en me tutoyant avec sa voix exigeante et tendre.
___________________________
L’ENSEIGNEMENT
DE GOLDENBERG
À
TRAVERS LE TEMPS :
SON
ACTION ET SON PROJET
NELSON
FELDMAN,
GENEVE,
SUISSE |
 |
Introduction
L’enseignement
de Mauricio Goldenberg se définit, surtout, par son action car il
a été un homme d’action qui a modifié évolution
de la Santé Mentale en Argentine. Le projet Goldenberg c’était
une Santé mentale publique, proche de besoins de la population,
psychanalytique, innovante et accessible à tous et il
est d’une évidente actualité. Je voudrais remercier les amis
de l’Association franco-argentine de psychiatrie pour cette invitation
et je voudrais également me présenter : J’ai été
interne en psychiatrie dans le service de Lanus de 1982 à 1985,
j’ai commencé avec la guerre des Malouines et j’ai fini avec le
gouvernement d’Alfonsin et le procès à la Junte militaire.
En 1985, grâce à une bourse de formation je suis parti à
Paris et, depuis 1992,je réside en Suisse. Je travaille aux Hôpitaux
universitaires de Genève au service d’Addictologie et en pratique
privée. Ma génération des années 70 a
rencontré dans ces années 80 un pays dévasté
sur le plan politique, culturel, social et économique. La psychiatrie
argentine, comme le Lanus, c’était un pays sans Maîtres,
partis dans l’exil intérieur ou à l’extérieur. J’ai
fait ma mémoire de spécialité sur l’Histoire de la
psychiatrie et la psychanalyse en Argentine à Paris V et en particulier
sur l’histoire du service de Lanus .Pour mon travail, j’ai eu la collaboration
d’autres générations du service de Lanus comme le docteur
Valentin Barenblit qui m’a témoigné de son expérience
lors d’un long entretien personnel à Barcelone en 1991 et que je
remercie publiquement .En 1996 ,à Buenos Aires, j’ai pu donner un
exemplaire de mon mémoire au Docteur Goldenberg . Dans cette présentation,
j’étudie l’histoire du service du Lanus à travers deux
versants :
1)
Celui de l’histoire de la psychiatrie et de la Santé Mentale
dans l’Argentine contemporaine des années 60, 70 et 80.
2)
Elle se situe dans une période particulier de l’histoire argentine
1956 jusqu’à nos jours.
Depuis
1955 jusqu’à 1983 aucun gouvernement démocratique n’avait
fini son mandat. L’Argentine connaissait des gouvernements
de facto militaires ou civiles mais sans élection « libres
». La règle était la proscription du péronisme
et de tout mouvement populaire ou de gauche avec une radicalisation progressive
de la vie politique dans les années 70.
GOLDENBERG
ET LA PSYCHIATRIE
1-
La Formation de Mauricio Goldenberg
Après
sa carrière de médecin à l’UBA (Université
de Buenos Aires), Goldenberg commence sa formation de psychiatre à
l’Hôpital neuropsychiatrique de Buenos Aires JT Borda avec le Professeur
Gonzalo Bosch titulaire de la Chaire. Gonzalo Bosch était
le président de la Ligue argentine d Hygiène Mentale inspirée
de la ligue d’Hygiène mentales américaine dont le but est
de réformer les soins en santé Mentale .Goldenberg
fut disciple de Carlos Pereyra , professeur de psychiatrie et
référence majeure dans la sémiologie et le diagnostique
psychiatrique qui laissera chez Goldenberg la marque d’un grand un
rigueur clinique dans les entretiens. Il se lie d’amitié avec Celes
Carcamo , un des fondateurs de l’APA qui fait le cours supérieur
de psychiatre au même temps : « je lui apprenais la phénoménologie
et lui m’apprenait la psychanalyse »(1). Il fréquentait dans
l’Hôpital Borda Ernesto Pichon Rivière, pionnier e la psychanalyse
en Argentine, chef du service dans une ambiance hostile à ses idées.
De cette façon Goldenberg réunit à la fois la formation
d’un psychiatre très rigoureux, bien formé dans
l’entretien clinique et la pharmacologie mais aussi intéressé
à la psychanalyse clinique à partir de ses liens
proches avec des analystes.
En
1950, appuyé par Gonzalo Bosch, il participe du Congrès Mondial
de Psychiatrie à Paris et connait Mélanie Klein , Anna Fred
et lors d’un stage à Sainte Anne à Paris , il fait
la connaissance de Julián Ajuriaguerra, psychiatre basque espagnol
réfugié en France après la guerre civile espagnole
: « Il fut pour moi un model :excellent psychiatre et neurologue,
il avait une formation personnelle psychanalytique ».De mo retour
en argentine je savais que je devais quitter l’hôpital psychiatrique
»(2). Plus tard, dans les années 60, Ajuriaguerra a été
nommé professeur de psychiatrie à Genève pendant 15
ans où il a crée le service de psychiatrie de l’enfant et
contribué à une psychiatrie dynamique ouverte dans la communauté
.Il était membre de la société suisse de psychanalyse.
Goldenberg développe également des collaborations avec l’OMS
et à partir des années 60 avec l’Université
de Columbia caractérisée par une ouverture à
la psychiatrie sociale et communautaire, impulsée par l’administration
Kennedy aux USA (des services de Médecine Communautaire
sont alors crées). Cela aura des conséquences sur son action
future. L’enseignement de Goldenberg va se traduire surtout par son action
car il a été un homme d’action.
2-
Le Dispositif Psychiatrique à Buenos Aires
A ses
origines à la fin du XIX siècle , il était constitué
par les Hospice psychiatriques crées par le premier aliéniste
Luciano Menendez. A Buenos Aires il y avait L’Hospice pour femmes et en
face l’Hospice pour hommes, les deux plus grands hôpitaux psychiatriques
de la ville. L’enseignement de la psychiatrie était alors implanté
dans les Hospices.
Plus
tard, au début du XXème siècle Domigo Cabred
, titulaire de psychiatrie, développe une série impressionnante
d’œuvres pour améliorer les soins psychiatriques à l’époque
de la prospérité économique du pays. Des nombreuses
Colonies pour aliénés sont créées partout en
Argentine selon le model que Cabred avait observé en Europe où
il effectua des nombreux voyages « Le traitement en liberté
de aliénés » était sa devise. Une visite officielle
du président français Georges Clemenceau à une de
ces colonies est décrite dans son livre sur son voyage en Amérique
du Sud(4)
Encore
dans années 50, l’enseignement de la psychiatrie se déroulait
dans les Chaires de psychiatrie implantées dans les Hôpitaux
psychiatriques où une majorité de patients étaient
des patients psychotiques chroniques. Une autre partie de la population
ne bénéficiait pas d’aucune offre en matière de santé
mentale car personne ne voulait aller volontairement à ces grands
Hospices du Sud de Buenos Aires qui se délabraient d’année
en année comme sa population de patients chronicisés (4.000
en 1955 à l’Hôpital Borda).La Ligue d’Hygiène Mentale
avait comme objectif modifier cet état de choses mais ses membres
travaillaient toujours dans les Hospices. Les quelques cliniques privées
étaient réservées à une minorité.
LES
ANNEES 50 et 60
3-
La Rupture avec la psychiatrie asilaire : Le Projet Goldenberg
En
1956 il est crée le Service de Psychopathologie de Lanus ,1er service
avec des lits d’hospitalisation (30) dans un hôpital général
sous la direction du du Prof Goldenberg qui va développer
un centre de formation et de soins de référence en Argentine
dans un hôpital générale et publique. L’Hôpital
de Lanus, crée en 1952, faisait t partie du grand plan sanitaire
du ministre Santiago Carrillo de constructions des Hôpitaux
Publique sous le gouvernement de Peron dans les nouvelles banlieues industrielles
du Buenos Aires très développés avec la politique
d’industrialisation des années 40 et 50 .Sur le plan architectural
,il était identique aux Hôpital Castex, à
San Martin, et Fiorito ,à Avellaneda. Il a été
nommé Hôpital Evita à sa fondation en hommage à
Evita Peron qui y avait séjourné pendant sa maladie en 1952.
Goldenberg
est nommée médecin chef en 1956, une année après
le renversement du président Peron par un gouvernement militaire
,et l’Hôpital se nomme alors Professeur G. Araoz Alfaro. Goldenberg
va développer un concept Santé mentale communautaire,
psychanalytique installée à proximité de la
population, dans un grand hôpital, situé dans une banlieue
industrielle du Sud de Buenos Aires, Lanus. (Par son aspect de proximité,
elle rappelle le model français du Secteur des années 70).
Il s’agit d’une psychiatrie proche de la médecine générale
et pas éloignée comme elle était encore dans
les grands asiles crées par l’administration de Domingo Cabred,
dans l’époque faste de l’Argentine des années 1910-1920.
4-
Le Lanus : un lieu d’enseignement clinique
Goldenberg
développe des collaborations avec des enseignants psychanalystes
qui viennent à Lanus pour dispenser des enseignements, des supervisions,
des contrôles, dans la majorité de cas à titre bénévole,
aves la conviction de participer à un projet de renouveler
la santé Mentale dans l’argentine des années 60 et 70.Ce
model attire des génération de psychiatres, psychologues
et autres travailleurs de la santé mentale qui vont se former
avec l’enseignement dispensé au Lanus. Il développe un ’enseignement
à travers des générations de professionnelles à
travers une grande diversité d’orientations psychanalytiques,
sociologiques et communautaires.
Le
Lanus organise dès 1964 une résidence (internat) de 3 ans,
des conventions de collaboration avec l’Université de Buenos Aires
pour la formation pré-graduée et post-graduée. Goldenberg
est nommée professeur adjoint dans les années 60, puis renonce
à l’UBA en 1966 suite à « la nuit de longs battons
» (intervention policière dans les locaux universitaires après
le coup d’état de 1966).
Le
service s’agrandi peu à peu :dans les années 60 et différents
équipes composent son Service :2 unités d’hospitalisations
de 30 lits, une équipe de psychiatrie de liaison. Il y a
aussi un bâtiment de consultations avec équipe d’adultes
,alcoolisme, enfants et adolescents, thérapie de groupes, Hôpital
de Jours et une équipe de psychiatrie sociale, le premier
dans son genre en Argentine. Cette équipe de psychiatrie Sociale
est crée dans en 1964, ses membres se déplacent dans des
quartiers très défavorisés de Lanus pour mieux connaître
cette population et développer un programme de prévention
et des collaborations avec des responsables locales .Goldenberg organise
un Cours de promoteur sanitaire, spécialisé dans la repérage
de certains troubles(alcoolisme, dénutrition , autres problématiques
de santé)et leur dispense un diplôme de promoteur sanitaire.
Le but était de favoriser les consultations à l’hôpital
d’une population en situation de précarité matériel
sans soins adaptés. Eduardo Colombo, résident à Paris
depuis les années 70, m’a témoigne de sa participation au
mouvement de psychiatrie sociale dans les années 60 et 70
et de l’invitation a David Cooper, l’auteur de l’antipsychiatrie
en Argentine, pour venir parler à Lanus. L’histoire récente
de la psychanalyse en Argentine est écrite à Lanus
à travers le le rôle multiplicateur qu’il a joué
dans la diffusion de la psychanalyse comme model de référence
pour des générations de cliniciens formés lors de
leur passage par le Lanus.
Les
psychanalystes et psychiatres de renom participent de séminaires
réguliers de formation, des séances de contrôle de
cas et de supervisions : Par là ont passé José
Bleger, Aurora Perez,Vicente Galli, Rafael Paz, Fernando Ulloa, Lia Ricon,
David Liberman et bien d’autres que je n’arriverai pas à nommer
ce soir. Dans les années 80, Mario Fischman ,ancien résident,
faisait ses contrôles de patients en salle d’hospitalisation
et nous introduisait aux classiques comme Clérembaault et
à la clinique de Jacques Lacan sur la psychose .Comme beaucoup d’autres
il venait dispenser cet enseignement de façon bénévole.
Différents générations de psychiatres, psychologues,
psychanalystes se croissent et participent à une transmission entre
générations, phénomène rare dans l’Argentine
des années 70 et 80. Cette empreinte psychanalytique du Lanus
sera une de pierres angulaires de sa célébrité
car il s’agit d’offrir cette approche à une population de
ressources modeste dans un projet de travail collectif.
Goldenberg
était un psychiatre clinicien, espèce rare actuellement,
il faisait son enseignement à travers des présentations
cliniques d’une grande valeur. Le respect à la parole du patient
est cité par tous ceux qui ont aussi t à ces présentations.
Ce respect à la parole du patient avant tout théorisation
préalable a été stimulé par son intérêt
par la psychanalyse. A ce propos je citerai les paroles de MariaEsther
Prado dans un acte en 1994 en hommage aux 35 ans du Service. Elle
évoque l’exigence de Goldenberg : « Pour parler avec
lui on devait utiliser le mot psychose dans un sens limité et précis,
c'est-à-dire si on repérait des troubles due la pensée
:barrages , néologismes , coq à l’âne, interceptations
.On devait distinguer paranoïa, paraphrénie, épisode
psychotique aigue ou psychose hystérique. Plus tard j’ai remarqué
que cette exigence était demandée par Lacan à
ceux qui l’entouraient, le repérage de la structure et en particulier
pour la psychose pour les problèmes spécifiques sous-jacents.
Goldenberg avait captait au delà de la plupart des analystes
argentins de l’époque. Il a été notre Clérembault
! »(5)
Le
Projet d’une Santé Mentale ouverte à la Cité :
En
effet le grain donne des nouvelles exemples et différents Unités
et services sont crées dans le projet de développer une Santé
Mentale de proximité. D’autres unités de psychiatrie sont
crées dans des Hôpitaux Généraux : le service
de psychiatrie de l’Hôpital Piñeiro ,Fernandez, Argerich Alvarez
et, dans la Province de Buenos Aires, l’hôpital Estevez, Fiorito,
San Isidro et Castex. Ils ont aujourd’hui plus d’une trentaine de
services seulement à Buenos Aires.
Le
Centres de Santé Mentale 1 et 2 (consultations ambulatoires) de
la Capital Fédéral crées par initiative de Goldenberg,
conseilleur de la ville en santé Mentale, dans les années
60 sont des centres ambulatoires multidisciplinaires implantés
dans de quartiers populaires de Buenos Aires pour un population consultante
très variée. Le modèle de communautés
thérapeutiques s’implante dans les anciennes Colonies fondées
par Cabred : par ex. à l’Hôpital Estevez mais également
à l’intérieur du pays comme La Colonia Fédéral
à Entre Rios(expérience du Dr Camino) et dans l’ancienne
Colonie psychiatrique d’Open Door à Lujan .
LES
ANNEES 70
5-
Le départ de Goldenberg du Lanus
Le
Lanus a connu ce qui a connu l’Argentine des années 70. Une politisation
croissante des activités professionnelles, une radicalisation des
positions politiques, une tension entre les prises de position professionnelles
et politiques qui parfois provoquent des ruptures, un antagonisme entre
personnes et groupes selon leur appartenance ou leur manque d’appartenance.
L’Association psychanalytique argentine (APA)connaît à al
fin des années 60 une scission à travers les groupes Plataforma
et Documento. Ils critiquaient entre autre à l’APA l’absence d’une
étude plus approfondie des phénomènes sociaux et politiques
présents dans la pratique clinique. Les années 70 voient
la création de la Fédération Argentine de psychiatres(FAP)
associée au « projet de Libération National »
ayant Marie Langer comme présidente en 1972. Le départ de
Goldenberg en 1972 du Lanus se situe à cette époque pour
créer un service de psychiatrie dans un Hôpital privée,
l’Hôpital Italien à Buenos Aires.qui reproduit certains principes
du Service de Lanus, une psychiatrie moderne, d’orientation psychanalytique
dans un renommé hôpital général de la ville
de Buenos Aires. Il y retrouve le Dr Carlos Pereyra, un de ses anciens
maîtres en psychiatrie clinique. A la tête du service de Lanus,
il est succédé par le Dr Valentin Barenblit, disciple
très proche qui maintient l’orientation du Service pendant des années
très difficiles en Argentine sur le plan politique et sociale. Dans
les années 70, la violence politique s’installait peu à peu
dans cette société argentine et chacun peut y témoigner
de son vécu dans cette période
6-
Le coup d’Etat militaire de mars 1976
La
violence qui s’est abattu sur l’Argentine dans ces années est difficile
à résumer en 20 minutes de présentation.
Ma
génération a appris à travers les manques de transmission,
les non dits, les silences sur l’histoire récente. Il fallait chercher
les éléments qui nous manquaient .Pendant mes gardes des
anciens infirmiers du service Eva, Santos, osaient exprimer ce qui
était passé plus directement que des collègues psychiatres
ou psychologues. En 1976, Mauricio Goldenberg , déjà
menacé par la Triple A pendant le gouvernement d’Isabel Peron, quitte
l’Argentine définitivement pour s’installer au Venezuela où
il fut très bien accueilli par des anciens disciples et il continua
à exercer son enseignement .En Argentine , son fils Carlos, né
en 1952, militant de la gauche péroniste est tué en 1976.Son
parcours militant est abordé dans un livre de Martin Caparros et
Eduardo Anguita , la Voluntad(6).Il était gradué du collège
National de Buenos Aires en 1972 et son nom fait partie du mémorial
en bronze du Collège avec les noms de 105 anciens étudiants
morts pendant cette période. Un autre fils mort également
pendant cette période.
Le
service du Lanus a souffert le coup d’état en plein fouet
: le Dr Barenblit est licencié par décret peu de temps après
le coup d’état militaire, comme d’autres milliers des fonctionnaires.
Pour maintenir la cohérence de travail avec les professionnels qui
travaillent au Lanus, les réunions de staff se déroulent
clandestinement, en privé, à son domicile. Puis survient
sa détention arbitraire et son départ pour l’Espagne.
Le service connaît une période difficile et chaotique, une
majorité de professionnelles arrêtent leur travail, une autre
partie continue à y travailler avec le compromis de suivre le projet
initial tracé par Goldenberg. En 1977, un Coronel neurologue (!!)est
nommé chef de service intérimaire du Lanus pendant une année.
L’internat de psychiatrie est supprimé pendant 3 ans .Les réunions
d’équipe et tout autre réunion de groupe (y compris les thérapies
de groupe !) interdites pendant une année par la direction de l’hôpital.
Il y a une désertion massive des professionnels qui participaient
au service pour des raisons évidentes d’insécurité
en lien avec la désignation du Lanus comme un lieu suspect de probable
filiation de gauche, voir « subversive » selon le langage de
l’époque militaire. L’unité hospitalière est réduite
à son tiers de capacité, l’équipe de psychiatrie sociale
et l’hôpital de Jour disparaissent (la nouvelle cafeteria du personnel
est installé à sa place).
En
1977, Martha Brea, responsable de l’équipe adolescents est arrête
par un groupe armé dans la consultation du Service devant
collègues et patients qui assistent impuissants à la scène
de violence. Des événements similaires se déroulaient
dans tout le pays sur les lieux de travail ou le domicile de tous ceux
qui étaient jugés proches ou engagés dans un projet
politique, sanitaire ou social de changement. Sa trace est actuellement
connu à travers de témoignages des rescapés de champ
de torture : elle a été arrête dans le champ El Vesuvio.
Ces témoignages permettent de reconstruire l’itinéraire de
Marta Brea , détenue au champ clandestin de torture « el Vesuvio
», près de l’Autopiste Ricchieri et le Camino de cintura ,
proche de l’hôpital de Lanus et de l’aéroport d’Ezeiza
. Elle a été identifiée par quelques survivants détenues
en sa compagnie dans des conditions inhumaines, et sans doute assassinée
pendant cette période (archives pouvoir judiciaire) et (7). En 2003,
un centre d’accueil et de soutien psychologique pour des adolescents
en situation de difficulté extrême et de précarité
a été crée à Lomas de Zamora et porte
le nom de « Marta Brea »en son hommage.
LES
ANNÉES 80
7-
Un autre pays, le Lanus reprend, et la Nave va…
Un
médecin chef de service, ancien résident est nommée
chef de service intérimaire. L’internat reprend en 1979, les équipes
reprennent grâce au volontariat bénévole de psychologues
et psychiatres qui participent des activités cliniques. Quelques
médecins sont nommés pour assurer la coordination de
certains équipes : liaison, hospitalisation récupère
les 28 lits. Les séminaires de formation et les supervisions reprennent
peu à peu son dynamisme. Des anciens internes et professionnels
qui se sont formés avec Goldenberg participent activement aux activités
d’enseignement et cliniques. Ils ressentaient l’envie de participer à
maintenir vivant l’héritage laissé par Goldenberg. En 1985,
année où j’ai fini mon internat, il y avait 140
professionnels travaillant dans le service de Lanus. Les équipes
ambulatoires adultes, enfants, adolescents, groupes, liaison et alcoolisme
existaient toujours .L’équipe de psychiatrie sociale et l’Hôpital
de jour n’avaient pas revu le jour. Mais un club de resocialisation «
Amanecer (à l’aube)» continuait à fonctionner animé
par de internes du Service, les seuls rémunérés à
part quelques médecins du staff. Ma génération des
années 70 a rencontré dans ces années 80 un
pays dévasté sur le plan politique, culturel, social et économique.
La psychiatrie argentine, comme le Lanus, c’était un pays
sans Maîtres ,partis dans l’exil intérieur ou à l’extérieur.
Je dois remercier les patients ,mes enseignants bénévoles
et tous les collègues qui ont contribué à m’apprendre
la clinique dans une situation difficile pour l’Argentine. Je suis reconnaissant
à ma rencontre avec la psychose dans l’unité hospitalière
et à travers l’enseignement de Mario Fischman qui nous guidait
à travers Clérembault , les classiques de la psychiatrie
française et Jacques Lacan. C’était à travers
la sémiologie et l’écoute du patient un retour à la
clinique rigoureuse de Goldenberg.
Mon
hommage aux patients du Lanus
Mon
premier patient était un peintre en bâtiment avec une dépression
sévère, licencié après 20 années de
travail par une grande entreprise traditionnelle de Lanus en faillite.
Combien nous étions loin des années Goldenberg qui négociait
avec les entreprises de Lanus des activités de resocialisation
pour éviter la dépression des travailleurs partis à
la retraite !!!!(2). Je garde le souvenir d’un patient psychotique, vivant
dans la précarité avec 3 enfants , qui travaillait comme
« cartonero » avec son fils âgé de 8 ans.
Qui dirait qu’il était le précurseur en 1983 du métier
précaire née de la crise économique argentine de 2001
! En 1984 dans ma rencontre avec un patient toxicomane, j’ai constaté
l’absence de formation sur la e clinique de la toxicomanie dans le service,
raison qui m’a poussé à me former à cette approche
en Europe. En 1982, à travers la garde je découvrais le retour
traumatique des soldats de 19 ans de la guerre des Malouines que
l’Argentine ne voulait pas entendre .Aucun programme de soins spécifique
n’était mis en place par le gouvernement ni les autorités
pour leur accueil.
8-
1984 :Le retour de Goldenberg ?
Rien
ne sera comme avant, ni l’Argentine ni le Lanus
En
1984, le De Goldenberg revient en Argentine invité par
le gouvernement démocratique de Raul Alfonsin qui lui propose de
diriger un nouveau programme de Santé Mentale. Il se rend à
l’hôpital de Lanus pour un hommage dans un salon d’actes plein. Il
reconnaît son émotion mais précise son projet futur
: « je reste à Venezuela ».L’Argentine et le Lanus ne
seront plus comme avant et il est impossible de revenir en arrière.
Mais il laissera derrière lui un héritage ineffaçable
ainsi qu’un certain espoir sans réponse pour les années à
venir. Ce même année 1984, le Dr Barenblit , son successeur,
a été également accueilli àl’Hôpital
de Lanus ,dans ce même salon d’actes .Il continuera sa route
à Barcelone, en développant une collaboration fructueuse
et permanente avec des institutions de formation et des professionnels
en Argentine. Il a été nomme professeur honoraire par la
Faculté de Psychologie de l’UBA.
LES
ANNÉES 80-90
La
situation du système publique de Santé. Le désengagement
de l’Etat dans la politique de Santé mentale
A partir
du coup d’Etat militaire et malgré la succession des gouvernements
démocratique depuis 1983, le système public de Santé
connaît une péjoration progressive. Le système privé
à travers des mutuelles commence à jouer un rôle de
plus en plus actif dans le système de soins et ce sont les initiatives
privées et associatives qui remplissent un rôle actif dans
le domaine de la Santé mentale. La diminution des ressources qui
affecte le système publique réduit les institutions
publique à prendre en charge la population sans couverture de santé
et les cas plus désocialisés et marginalisés sans
couverture. Les grands asiles de Buenos Aires, l’Hôpital Bord
et Moyano, hébergent dans des conditions précaires des milliers
de patients chronicisés sans projets de réinsertion. Le manque
de structures alternatives pour les accueillir contribue à
éterniser cette situation .Un projet immobilier privé qui
vise un grand chantier dans le sud de la Ville semble être
le détonateur d’une transformation radicale de ces grand asiles
implantés en plein quartier sud de la ville.
Le
projet Goldenberg d’une Santé mentale publique moderne, proche de
besoins de la population, innovante, inspiré de la psychanalyse
et accessible à tous est d’une évidente actualité,
en Argentine mais aussi en Europe(8).
La
psychiatrie actuelle enfermée dans les catégories diagnostiques
et les échelles d’évaluation s’éloigne d’une approche
clinique basée sur l’ouverture à l’autre. La gestion économique
des hôpitaux et les plans de carrière académiques sont
plus propices à d s approches pragmatiques, voir à des programmes
de soins structurés, loin d’une clinique du cas par cas, centrée
sur le sujet. Une psychanalyse, active, implantée dans les institutions
et ouverte aux problématiques cliniques contemporaines semble loin
de la de la psychanalyse actuelle en Europe, depuis longtemps centrée
sur la pratique privée et peu présente dans les
services universitaires , hospitaliers ou de formation. Aujourd’hui
en revanche, il semble que les psychanalystes tentent de reprendre le terrain
perdu avec des initiatives qui vont dans les sens de redevenir protagonistes
avec des initiatives comme les CPCT et la clinique de la précarité
symbolique ou bien des projets pour de jeunes en grandes difficultés.
Les centres psychanalytiques d’accès gratuit pour de sujets en situation
de difficulté ou de précarité sont un exemple actuel
de ce que Le Prof Goldenberg a déjà crée à
Lanus à partir de 1956.C’était sans doute un model d’innovation
et de rupture avec un model asilaire .qui avait dominé la psychiatrie
en Argentine pendant plus de 50 ans et un projet pour motiver les psychanalystes
à travailler en institution avec d’autres. Il est dans la ligne
du souhait de Freud dans son texte de 1919 :
«
Un jour la conscience social s’éveillera et rappellera que les
pauvres ont le même droits à un secours psychique qu’à
la médecine chirurgicale. La société n’est pas moins
menacée par la névrose que par la tuberculose. A ce moment
là on édifiera des établissements, des cliniques,
ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés.ces
traitements seront gratuits .Nous nous verrons alors obligés d’adapter
notre technique à ces conditions nouvelles» (9)
Références:
1)
« Mauricio Goldenberg,el maestro del Lanus », Entretien avec
Ana Diamant,1996, Archivo testimonial y documental, Facultad de Psicología,
UBA
2)
« Mauricio Goldenberg, une figure de la psychiatrie mondiale »,
entretien avec Rolland Brocca, Revue L’Ane, 1988.
3)«
Mauricio Goldenberg : Argentine psychiatrist »,by Matt Schudel, Washington
Post, 15 september 2006
3)
Histoire de la psychiatrie et la psychanalyse en Argentine, Le Service
de l’Hôpital de Lanus, Univ Paris V, mémoire DIS en psychiatrie,
Nelson Feldman,1992,
4)
Georges Clemençeau, « Notes de voyage Dans l’Amérique
du Sud » ,« Une curieuse maison des fous : les fous en
liberté », pages 89-90, Unesco, Editions Utz, Paris,1991
4)
Publication : « 35 Años, Primeras Jornadas de Encuentro del
servicio de Psicopatologia del Policlínico de Lanus”, 423 pages,1992
6)
“La Voluntad, una historia de la militancia revolucionaria en Argentina”,
Martin Caparros et Eduardo Anguita ,Vol 2 (1973-1976) et 3(1976-1978),Grupo
Editorial Norma, Buenos Aires,1998
7)
Journal Página 12, Osvaldo Bayer, « Batallas argentinas »,
juin 1998
8)
Journal Le Monde, 21 novembre 2008, C. Prieur , « La psychiatrie
française va de plus en plus mal ».
9)
Sigmund Freud, La technique analytique, PUF,1953