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mardi 21 octobre 2008 à 21 heures
à la Maison de l'Amérique Latine

217, Boulevard Saint Germain, 75007, Paris

 

MAURICIO GOLDENBERG : « L’INSTITUTION COMME LIBERTE »





Nous poursuivons ce soir le cycle de conférences sur des auteurs et personnalités argentines qui se sont illustrés dans le champ de la psychiatrie, la psychanalyse et la santé mentale, dans l’esprit de continuer à nourrir les échanges franco-argentins, si riches dans leurs histoire et contenus.

A ce sujet, et avant de rentrer dans le vif du sujet de ce soir, je me permets de vous signaler le prochain débarquement en Europe de la traduction à l’espagnol des Estudios psiquiátricos de Henri Ey, travail aquel nous avons beaucoup contribué en collaboration avec Juan Carlos Stagnaro et la branche argentine de l’Association. Nous avons d’autres projets en cours que nous porterons à votre connaissance lorsque leur réalisation aura pris une forme définitive.

Aussi, nous voulons saluer le lancement mercredi dernier de la Nouvelle Revue Argentine, sous une pluie de pétales de rose. Nous avons été honorés et obligés d’accepter la généreuse invitation de sa directrice de publication, Diana Quattrocchi-Woisson, pour une collaboration étroite, assidue et durable pour ce magnifique projet. Nous vous invitons à visiter son site internet, et aussi songer à nourrir le contenu de ses pages.

En ce qui concerne ce soir, nous avons pu mesurer à quel point la figure de Mauricio Goldenberg continue à être chère et mobilisatrice des esprits et volontés. Nous avons reçu une pluie de courriers d’adhésion, que malheureusement nous ne pourrons pas lire en intégralité afin de préserver notre temps de ce soir pour nos prestigieux orateurs. Qu’il me soit permis ici simplement de les mentionner, et de vous inviter prochainement à les consulter dans la page qui leur sera consacrée dans notre site internet.

Tout d’abord, Mme Isabel Goldenberg, qui depuis Washington nous fait part de son émotion et de sa volonté d’être ce soir parmi nous à travers ses aimables encouragements. Nous ne manquerons pas de lui faire un compte-rendu de notre rencontre, et mieux encore, de l’informer le moment venu lorsque le tournage de notre rencontre réalisé ce soir par l’équipe de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) coordoné par Lisette Winkler sera disponible sur le web. 

Nous ferons de même pour tous les collègues qui nous ont fait part de leur adhésion, que je cite dans l’ordre de leur d’arrivée : le Dr Graciela Onofrio de l’Hospital Italiano de la Capitale Fédérale, le Dr Tuncho Levav de Jésuralem, les Drs Monserrat Canal I Rifa et Anna Segura I Fontova de l’Institut IPSI de Barcelone, le Dr Víctor Korman, de Barcelone, le Dr Ricardo Sarmoria de Buenos Aires, le Dr Carlos Bucahi de Buenos Aires, Licenciada Christina Enghel de la Universidad Nacional de Lanús, le Dr Vicente Galli de la Sociedad Argentina de Psicoanálisis, les Drs Susana et Hernán Kesselman de Buenos Aires et le Dr Ana Diamant, de la Faculté de Psychologie de l’Université de Buenos Aires. Qu’il soient ici remerciés pour leurs témoignages chaleureux.

De notre part, et avant de comencer notre programme, nous remercions la Maison de l’Amérique Latine et Mme Dolores Ludger pour leur bienveillance à l’égard de notre association et pour nous permettre le privilège de disposer de cette salle, dans ce lieux si prestigieux et chargé d’histoire.

Nous commençons ce soir par quelques images d’un documentaire réalisé par la Faculté de Pychologie de Buenos Aires, qui nous permettra d’avoir un instant parmi nous la présence de Mauricio Goldenberg, ce qui nous donne l’occasion de rappeler qu’il s’est déjà rendu à Paris en 1988 à l’occasion d’une rencontre organisée autour de lui en 1988 à Prémontré, dans le service du Dr Roland Broca. 

Nous entendrons par la suite les contributions de Mme Diana Quattrocchi-Woisson, historienne et chercheur au CNRS, longtemps présidente de l’Observatoire de l’Argentine contemporaine, et actuelle directrice de la Nouvelle Revue Argentine, qui va nous présenter « Le contexte socio-politique : l'Argentine des années contestataires ».

Ensuite, nous entendorns le Dr Nelson Feldman, ancien interne del Lanús, actuellement en exercice à Genève, qui a fait le voyage jusqu’à Paris pour nous parler de « L'enseignement de Mauricio Goldenberg à travers le temps ».

Nous réservons pour la fin les « Témoignage » et « Souvenirs personnels » des Drs Valentín Barenblit, le bras droit de Mauricio Goldenberg pendant l’aventure del Lanús, qui a eu l’amabilité de venir ce soir de Barcelone malgré une agenda très chargée, et qui a collaboré avec beaucoup d’enthousiasme à l’organisation de notre rencontre. Et aussi, notre assidu collaborateur et Membre d’honneur de notre association, le Dr Juan David Nasio, protagoniste lui aussi de l’expérience del Lanús , et qui a été un des moteurs, y compris dans les moindres détails, de l’organisation de notre rencontre de ce soir. 

Pour terminer, je remercie au nom du bureau de l’Association tous ceux qui se sont déplacés ce soir et qui donnent vie à nos activités. Merci, et place aux choses sérieuses.

Eduardo Mahieu

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« TEMOIGNAGE » 
VALENTIN BARENBLIT
Bonsoir à tout le monde.

Pour commencer, je voudrais remercier très spécialement l’Association franco-argentine de Psychiatrie et de Santé Mentale de m’avoir invité à participer à cet acte. C’est pour moi un vrai plaisir de partager avec vous cette réunion d’hommage a notre Maître, le Professeur Dr. Mauricio Goldenberg.

Je voudrais faire remarquer aussi que d’autres collègues fraternels "lanusinos", que je ne vais pas mentionner dans cette opportunité par crainte d’omettre quelqu’un, pourraient occuper cette place dans la réunion que vous avez convoqué ce soir. Mais probablement ma proximité géographique de résidence à Barcelone, ainsi comme l’aimable intervention de mon cher ami le Dr. Juan David Nasio et la cordiale attention du Dr. Eduardo Mahieu, me donnent le privilège d’occuper cette place.

Ce soir, nous sommes réunis à Paris pour évoquer l’oeuvre et la mémoire d’un homme qui nous est très cher. J’ai été sollicité par les collègues de l’Association franco-argentine pour évoquer devant vous mon témoignage autour de l’aventure humaine et intellectuelle très particulière qu’incarne Mauricio Goldenberg. Cette aventure est aussi celle d’un lieu, « El Lanús », un hôpital de la grande banlieue de Buenos Aires, peuplée d’habitants aux statuts socio-économiques souvent bien précaires. Ajoutons celle d’un groupe d’hommes et femmes engagés dans un projet d’attention aux personnes souffrantes dans leur psychisme. Tous ensemble, nous avons accompli une aventure intellectuelle, marquée par l’engagement dans une entreprise thérapeutique au plus près de valeurs humanistes communes, et en même temps ouverte aux avancées de notre science si singulière. Mais aussi, nous sommes liés enfin par notre destin commun, étroitement lié aux avatars que l’histoire de notre pays d’origine nous a réservé. Il m’a été donné d’être un protagoniste de cette aventure, et c’est de cela que je viens témoigner.

L’homme

Evoquer Mauricio Goldenberg implique avant tout remarquer sa condition d’une grande humanité. Nous avons à faire avec un homme qui a consacré sans retenue sa vie au service de ses idéaux. Sa passion pour la musique et la littérature l’ont accompagné pendant sa jeunesse, à un point tel que ses soirées passées aux « poullailler » du Teatro Colón ont failli le détourner de ses études de médecine, aux temps d’une Argentine opulante. Il évoque de manière anécdotique comment après un premier échec lors d’un examen, grâce à la tenace insistance de sa mère, « comme une bonne mère juive », il se décide à poursuivre ses études à la Faculté de Médecine et n’obtient par la suite que des bons résultats. Sa vocation de service en sort renforcée, et comme il le dit lui-même, celà lui a coûté parfois très cher : «  Je suis près de mes 80 ans. Pratiquement j’ai consacré toute ma vie à l’exercise professionnel. En tant qu’être humain, j’ai vécu des choses douloureuses et d’autres très bonnes et généreuses pour moi ». Ces mots, prononcés dans les années ’90 font référence discrète aux temps de la dictature, que nous avons subi en chair propre et payé par notre exil. Le personnage de Mauricio Goldenberg incarne ce paradoxe de notre pays, capable d’une grande richesse et créativité, mais aussi capable de nous réserver ses côtés les plus obscurs.

Cette période funeste de notre histoire a permis cependant d’établir des nouvelles solidarités. Avec d’autres collegues, nous avons évoqué à multiples reprises les deux exils engendrés par la dictature qui a eu lieu entre 1976 et 1983. De notre exil, celui qu’on entend au sens habituel du terme, nous avons rendu hommage à l’ « exil interne », celui subi par tous ceux qui sont restés dans le pays, gardant en silence leur parole, mais sans arrêter leur pensée. Eux aussi, ont réussi à conserver les noyaux les plus précieux de la culture à l’intérieur du pays. Nourrir ce noyau de culture est ce que Mauricio Goldenberg a fait tout au long de sa longue carrière de Maître, médecin, psychiatre et humaniste, comme le dit le titre du recueil de témoignages qui lui a été consacré en 1996 par la Faculté de Psychologie de l’Université de Buenos Aires.

Le Maître

Quels ont été les principales caractéristiques qui lui ont fait valoir autant de titres mérités ? Mauricio Goldenberg a avancé son époque dans le domaine de la santé mentale. Son oeuvre eut une telle répercussion qui l’a transformé en Maître de la psychiatrie et la santé mentale en Argentine, mais aussi dans tout le continent américain. Souvent on s’est demandé comment était possible que l’on évoque « El Lanús » non seulement en Argentine, mais aussi dans différents pays du monde.

Mauricio Goldenberg non seulement a travaillé durement pour favoriser l’articulation entre la psychanalyse et les soins pour la santé mentale, mais aussi avec d’autres écoles différentes, avec des théories et techniques diverses, exigeant pour seule condition qu’elles soient compatibles avec le cadre idéologique général de son Service, en somme avec ses préceptes éthiques. Son oeuvre permit dans notre pays une nouvelle façon de reconnaître les troubles mentaux, et, par suite de cette nouvelle reconnaissance, donner lieu à une nouvelle attitude éthique tant dans les styles d’enseigner, comme d’apprendre et soigner.

J’ai souvent dit que les professeurs ont des élèves, mais les maîtres ont des disciples. Mauricio Goldenberg est un de ces Maîtres qui établissent les bases d’une école, d’une orientation et d’une attitude d’enseignement. Nombreux sont ceux qui s’y reconnaissent, même ici en France, dans une terre si prodigue en Maîtres et Ecoles. Comment a t-il réussi cela ? Nous pouvons dire qu’à sa généreuse vocation, à son appartenance et engagement avec les aspects les plus éthiques et progressistes de l’Université Argentine, il a associé une qualité pas si fréquente : la confiance dans ses rapports avec les plus jeunes. Et cette confiance est sans aucun doute un des attributs des grands Maîtres. Car avoir confiance et respect pour ses élèves, permet non seulement de transmettre un enseignement, mais surtout elle implique un grand respect pour la liberté créative de chacun et une ouverture au débat. C’est à dire la reconnaissance chez l’autre de l’autonomie et l’intelligence.

« Mouiller le maillot »

Qu’avait ce service pour nous lier de cette manière si particulière, qui nous marque encore aujourd’hui ? C’est à l’aide d’une métaphore que nous nous sommes posés la même question jadis : « Le maillot du Lanús, de quelle étoffe est faite? Quelles fibres le constituent? De quelle constellation de traits identificatoires est conformée? Une alliance d’associations footballistiques nous a conduit du maillot comme signe distinctif et d’identité jusqu’à l’expression suivante : le Lanús est un peu plus qu’un service »

Peut-être il faut préciser pour les collègues français, qu’un des traits identificatoires de cette banlieue de Buenos Aires est son équipe de football, précisément "Lanús", une équipe de prémière division au budget modeste. Mauricio Goldenberg raconte comment confrontés aux problèmes d’alcoolisme des jeunes des bidonvilles, la question de la santé mentale lui apparaît inextriquablement soudée aux conditions sociales où elle est inscrite. A l’occasion, l’organisation d’un championnat de football pouvait servir d’articulation entre les différentes réponses à apporter. El le club lui a proposé son terrain de football pour que les jeunes puissent s’entraîner les trois jours laissés libres par l’équipe professionelle. Ils jouaient avec le même maillot rouge, celui du Lanús. Alors on l’interpellait : c’est cela la santé mentale? Mais oui, bien sûr, c’est cela la santé mentale.

El Policlinico de Lanús et la structure fonctionelle du Service

El Policlinico de Lanús était un hôpital de haute complexité avec tous les services medicaux traditionnels. L’hôpital avait une consultation externe et 500 lits pour l’hospitalisation. Le Service de Psycopathologie et Neurologie fondé par Mauricio Goldenberg a commencé par une petite consultation externe et pendant l’evolution qu’il a developé depuis sa fondation en 1956, grace à la grande labeur réalisé par le Maître et ses collaborateurs, il agrandit ses objectifs et ressources arrivant a constituer une complexe structure fonctionelle et opérative avec des activités d’assistance, enseignement et investigation.

Cette organisation se concrétisa dans des "Departements" et "Sections" qui se constituaient organiquement de la façon suivante : consultation externe (enfants, adolescents, adultes et geriatrie), internation avec 32 lits pour femmes et hommes, hôpital de jour, interconsultation et psychiatrie communautaire. Les lieux où toutes ces aires collaboraient furent celles de l’enseignement, investigation, famille, groupes alcoolisme et toxicomanies. Aussi, il a été crée un club de post-cure pour la réhabilitation qu’on a nommé "Amanecer". Je dois faire remarquer que la complexité de 

l’activité realisée était coordonnée dans l’espace nommé "Consejo Directivo", où chaque semaine les coordinateurs des aires mentionnés se réunissaient avec notre cher Maitre, pour examiner et actualiser les projets et necessités des differentes aires, établissant aussi de manière démocratique des canaux de communication bidirectionelle.

La perspective interdisciplinaire

El Lanús a été un des premiers lieux de travail interdisciplinaire où des psychologues diplômés ont pu travailler avec un grand confort, et ainsi devenir responsables de départements ou aires de service qui ont acquis un grand prestige. En quelque sorte, ils pouvaient trouver un lieu symétrique avec les médecins et le reste du personnel. De ce point de vue aussi, Mauricio Goldenberg a favorisé et stimulé le déployement d’une conception de la démocratie qui n’est pas uniquement réservée à la vie et au gouvernement des pays. Elle intéresse aussi les relations à l’intérieur de l’institution, ainsi que tout autre groupe humain entretenant des liens de travail ou professionnels. Alors, lorsqu’on me demandait si les psychologues, les assistants sociaux, les infirmiers, les sociologues ou anthropologues participaient à la thérapeutique, je ne pouvais répondre que par l’affirmative. Et dans ce contexte, je peux dire que ces professionnels ont toujours eu une place remarquable et, à certains moments de la vie du service, fondamentale.

Les dictatures

Comme nous l’avons déjà dit, l’histoire del Lanús est aussi l’histoire du pays. 1966 a été une année importante, car la dictature du Général Onganía allait infliger aux scientifiques argentins un coup des plus sombres. Lors d’une nuit connue comme "La Noche de los bastones largos" (la Nuit des bastonnades), plusieurs universitaires sont tabassés et expulsés. L’attaque la plus brutale a été réservé pour la Faculté de Sciences Exactes, dans une sorte d’avant goût de ce qui serait l’attaque contre l’ensemble de la culture lors de la dictature suivante. L’étoffe de Mauricio Goldenberg se revèle aussi dans ces moments. En réponse à cette attaque, il a été un des rares à démissionner à son poste universitaire, entraînant la solidarité de l’ensemble de l’équipe du Lanús, lors d’une discussion collective.

En 1971 Mauricio Goldenberg est parti pour créer un nouvel département de Santé Mentale à l’Hospital Italiano dans la Capitale Féderale. Dans ce projet, avec quelques collaborateurs de notre service, il dévelopa pendant des années un excellent travail suivant le modèle du Lanús. Il a continué son excellente labeur dans ce hôpital jusqu’à la fin de 1976, date de son exil au Vénézuéla avec sa famille.

Il m’a laissé l’énorme responsabilité d’hériter de la fonction de Chef de Service avec l’approbation et consentement des professionnels du Service. Ce furent cinq ans de dure labeur, avec l’exigence de poursuivre l’action de notre institution dans l’esprit que nous avions forgé pendant les décennies passées. Mais, en Semaine Sainte de 1976, je suis démis de toutes mes fonctions par le retour au pays d’une dictature militaire, sans doute la plus sanglante. Quelque temps après, en avril 1977, je suis contraint de partir en exil dans la terre catalane où je vis encore. Lorsqu’il arrive que des professionnels prestigieux, des gens qui occupent des positions importantes dans les différents dispositifs académiques, m’appellent "Jefe", sincèrement j’ai un sentiment de dépersonnalisation, ou tout au moins d’étrangeté, même si je reconnais en cela une partie de l’héritage que nous avons laissé.

Ces remarques me font évoquer tout particulièrement Marta Brea pour lui rendre hommage. Cette psychologue engagée, fut enlevée en 1977 par une opération paramilitaire au sein du service, alors qu’elle exerçait son travail. Devant les yeux perplexes de ses collègues, paralysés par une mitrailleuse qui sortait d’une voiture, elle a été emportée et devenue ce que l’histoire du pays nomme une desaparecida. Plus jamais nous n’avons eu des nouvelles de cette psychologue reconnue par son dévouement au travail, ses qualités d’enseignement, et surtout d’engagement et hônneteté. Par ce témoignage ému, je voudrais aussi rappeller à quel point notre service n’a pas été tout le temps une fête, mais l’engagement de ses membres entier et sans failles.

Los sueños, sueños son

Le poète nous a appris que la vie est rêve, et que les rêves, rêves sont ; mais la vie même nous a appris qu’elle est aussi deuil, et que les deuils, deuils sont. Nous devons apprendre à oublier certaines choses que nous aurons voulu dire, car pour se rappeller,il faut aussi oublier. Alors pour conclure mon témoignage ce soir, je voudrais peut-être ramener à la mémoire, dans l’esprit des mémorables fêtes du service, certains aspects joyeux des Journées organisées en 1992 pour commémorer le 35° aniversaire du service. Cette rencontre s’est déroulé pendant plusieurs jours où nous avons discuté, échangé et fêté une nouvelle fois l’ensemble de l’oeuvre de Mauricio Goldenberg. Ce fut une nouvelle fois l’occasion de se retrouver ensemble et de partager avec les nouvelles générations le rayonnement de notre aventure. Lors d’une parodie qui n’épargna personne, nous avons chanté ensemble sous les airs de La Marseillaise : "A los enfants du Grand Lanús". Comme un regard tendu vers le futur. Merci beaucoup pour votre attention.

- Mauricio Goldenberg, Maestro, médico, piquiatra, humanista, Testimonios para la experiencia de enseñar, Publicación de la secretaría de Cultura y Bienestar Universitario de la Facultad de Psicología de la UBA.

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Souvenirs personnels, 
Juan David Nasio
J’ai connu Mauricio Goldenberg en mars 1962. En ce début d’année scolaire, j’entrais, très jeune étudiant en médecine, au C.H.U. de Lanús pour effectuer mes 4ème, 5ème et 6ème années d’études médicales. J’avais choisi délibérement de terminer ma formation dans l’hôpital de Lanús parce que j’avais l’intention, une fois médecin, d’entrer dans le service de Psychoapthologie déjà très réputé dirigé par Goldenberg, et faire ma spécialité en psychiatrie. Je me disais qu’en étant présent dans l’Hôpital ce serait plus facile ensuite d’intégrer l’équipe du Service. C’est ainsi qu’en 1964, déjà médecin, j’ai été accepté pour faire partie de la première promotion des internes formés à Lanús. Je disais en commençant que j’ai rencontré Goldenberg en mars 1962, parce que c’est lui qui avait été désigné par le directeur général de l’hôpital pour accueillir les nouveaux étudiants en médecine. Je ne me souviens plus de ce que Goldenberg avait dit dans ce discours de bienvenue, mais je me souviens nettement du ton rassurant avec lequel il nous parla et de l’enthousiasme qu’il suscita en nous tous. Plus tard, en le voyant s’adresser au malade dans le cadre de sa Consultation, j’ai retrouvé la manière qu’il avait eue de s’adresser à nous : compétent, serein et chaleureux. Voilà le style même qu’il a su me transmettre en acte tout au long des années où j’ai eu le privilège de le côtoyer. En effet, un maître ne transmet pas tant ce qu’il dit, ni même ce qu’il fait, mais ce qu’il est. Et quand Goldenberg s’adressait au patient, il était non seulement le clinicien sagace et expérimenté, il était surtout heureux de faire ce qu’il avait à faire et de le faire bien. C’est bien cette joie spontanée qu’il m’a transmise et qui me fait toujours penser à lui lorsque, à mon tour, je suis heureux de réusssir à communiquer profondément avec mes patients.

Hormis cet enseignement digne des grands maîtres, nous avons reçu à Lanús la formation la plus complète qu’un jeune médecin puisse espérer. Nous formions un petit groupe de 15 internes qui avions le privilège de circuler d’un département à l’autre du service : lorsque nous étions dans le Département d’hospitalisations, nous aprenions la clinique psychiatrique ; dans le Département des thérapies groupales, nous nous exercions à la dynamique de groupes ; dans le Département des thérapies familiales et de couples, nous nous occupions du suivi thérapeutique des familles des schizophrènes ; dans le Département consacré aux adolescents, nous apprenions à accompagner l’adolescent dans sa crise ; et lorsque nous nous rendions dans le Département de Psychiatrie infantile, nous découvrions les bases de l’écoute d’un enfant et de ses parents ; et enfin, lorsque nous accompagnions Valentín Barenblit dans ses missions auprès des autres Services de l’Hôpital, nous apprenions à parler à des confrères d’autres spécialités que la nôtre. Or, cette richesse des enseignements au sein du service, se doublait de l’apport des enseignements venus de l’extérieur et dispensés par les meilleurs psychanalystes argentins de l’époque qui acceptaient avec enthousiasme de quitter leurs consultations de Buenos Aires pour venir à Lanús et nous introduire à la psychanalyse. Je garde le souvenir vivant des cours de José Bleger, de David Liberman, de Joel Zak, de Betty Grunfeld et de beaucoup d’autres grandes figures de l’Association Psychanalytique Argentine. Bref, nous avons été les enfants choyés par les meilleurs représentants d’un des plus riches époques de la psychiatrie et de la psychanalyse argentine. Quelle chance nous avons eue !

Je voudrais conclure en déclarant ma fervante reconnaissance à ce maître inégalé de la clinique psychiatrique. Je n’oublie pas d’abord que c’est lui et José Bleger qui furent mes parrains poiur l’obtention d’une bourse octrayée par l’Ambassade de France en Argentine afin de venir étudier à l’Ecole Freudienne de Paris. Il m’a encouragé et soutenu pour venir en France.

Aujourd’hui, 46 ans après ces années inoubliables de Lanús, Goldenberg reste toujours présent en moi, dans le style de ma pratique de psychanalyste et d’enseignant. En écrivant ce témoignage je me suis entendu l’appeler « Chef » - comme nous l’appelions tous – et lui de me répondre en me tutoyant avec sa voix exigeante et tendre.

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L’ENSEIGNEMENT DE  GOLDENBERG
À TRAVERS LE TEMPS : 
SON ACTION ET SON PROJET
NELSON FELDMAN, 
GENEVE, SUISSE

Introduction

L’enseignement de Mauricio Goldenberg se définit, surtout, par son action car il a été un homme d’action qui a modifié évolution de la Santé Mentale en Argentine. Le projet Goldenberg c’était une Santé mentale publique, proche de besoins de la population, psychanalytique, innovante  et  accessible à tous et il est d’une évidente actualité. Je voudrais remercier les amis de l’Association franco-argentine de psychiatrie pour cette invitation et je voudrais également me présenter : J’ai été interne en psychiatrie dans le service de Lanus de 1982 à 1985, j’ai commencé avec la guerre des Malouines et j’ai fini avec le gouvernement d’Alfonsin et le procès à la Junte militaire. En 1985, grâce à une bourse de formation je suis parti à Paris et, depuis 1992,je réside en Suisse. Je travaille aux Hôpitaux universitaires de Genève au service d’Addictologie et en pratique privée. Ma génération des années 70  a rencontré dans ces années 80 un pays dévasté sur le plan politique, culturel, social et économique. La psychiatrie argentine, comme  le Lanus, c’était un pays sans Maîtres, partis dans l’exil intérieur ou à l’extérieur. J’ai fait ma mémoire de spécialité sur l’Histoire de la psychiatrie et la psychanalyse en Argentine à Paris V et en particulier sur l’histoire du service de Lanus .Pour mon travail, j’ai eu la collaboration d’autres générations du service de Lanus comme  le docteur Valentin  Barenblit qui m’a témoigné de son expérience lors d’un long entretien personnel à Barcelone en 1991 et que je remercie publiquement .En 1996 ,à Buenos Aires, j’ai pu donner un exemplaire de mon mémoire au Docteur Goldenberg . Dans cette présentation, j’étudie  l’histoire du service du Lanus à travers deux versants :

1) Celui de l’histoire de la psychiatrie et de  la Santé Mentale dans l’Argentine contemporaine  des années 60, 70 et 80.
2) Elle se situe dans une période particulier de l’histoire argentine 1956 jusqu’à nos jours. 
Depuis 1955 jusqu’à 1983 aucun gouvernement démocratique n’avait  fini son mandat. L’Argentine  connaissait  des gouvernements de facto militaires ou civiles mais sans élection « libres ». La règle était la proscription du péronisme et de tout mouvement populaire ou de gauche avec une radicalisation progressive de la vie politique dans les années 70.

GOLDENBERG ET LA PSYCHIATRIE

1- La Formation de Mauricio Goldenberg

Après sa carrière de médecin à l’UBA (Université de Buenos Aires), Goldenberg commence sa formation de psychiatre à l’Hôpital neuropsychiatrique de Buenos Aires JT Borda avec le Professeur Gonzalo Bosch titulaire de la Chaire. Gonzalo Bosch était  le président de la Ligue argentine d Hygiène Mentale inspirée de la ligue d’Hygiène mentales américaine dont le but est de réformer les soins en santé Mentale .Goldenberg  fut  disciple de Carlos Pereyra , professeur de psychiatrie et  référence majeure dans la sémiologie et le diagnostique psychiatrique qui laissera chez Goldenberg la marque d’un grand  un rigueur clinique dans les entretiens. Il se lie d’amitié avec Celes  Carcamo , un des  fondateurs de l’APA qui fait  le cours supérieur de psychiatre au même temps : « je lui apprenais la phénoménologie et lui m’apprenait la psychanalyse »(1). Il fréquentait dans l’Hôpital Borda Ernesto Pichon Rivière, pionnier e la psychanalyse en Argentine, chef du service dans une ambiance hostile à ses idées. De cette façon Goldenberg réunit à la fois la formation d’un psychiatre très rigoureux, bien  formé  dans l’entretien clinique et la pharmacologie mais aussi  intéressé à la psychanalyse clinique à partir  de  ses liens proches  avec des analystes.

En 1950, appuyé par Gonzalo Bosch, il participe du Congrès Mondial de Psychiatrie à Paris et connait Mélanie Klein , Anna Fred et lors d’un stage à Sainte Anne à Paris , il  fait la connaissance de Julián Ajuriaguerra, psychiatre basque espagnol réfugié en France après la guerre civile espagnole : « Il fut pour moi un model :excellent psychiatre et neurologue, il avait une formation personnelle psychanalytique ».De mo retour en argentine je savais que je devais quitter l’hôpital psychiatrique »(2). Plus tard, dans les années 60, Ajuriaguerra a été nommé professeur de psychiatrie à Genève pendant 15 ans où il a crée le service de psychiatrie de l’enfant et contribué à une psychiatrie dynamique ouverte dans la communauté .Il était  membre de la société suisse de psychanalyse. Goldenberg développe également des collaborations avec l’OMS et à partir  des années 60 avec l’Université de Columbia caractérisée par une  ouverture à la psychiatrie sociale et communautaire, impulsée par l’administration Kennedy aux USA  (des services de  Médecine Communautaire sont alors crées). Cela aura des conséquences sur son action future. L’enseignement de Goldenberg va se traduire surtout par son action car il a été un homme d’action.

2- Le Dispositif Psychiatrique à Buenos Aires

A ses origines à la fin du XIX siècle , il était constitué par les Hospice psychiatriques crées par le premier aliéniste Luciano Menendez. A Buenos Aires il y avait L’Hospice pour femmes et en face l’Hospice pour hommes, les deux plus grands hôpitaux psychiatriques de la ville. L’enseignement de la psychiatrie était alors implanté dans les Hospices.
Plus tard, au début du XXème  siècle Domigo Cabred , titulaire de psychiatrie, développe une série impressionnante d’œuvres pour améliorer les soins psychiatriques à l’époque de la prospérité économique du pays. Des nombreuses Colonies pour aliénés sont créées partout en Argentine selon le model que Cabred avait observé en Europe où il effectua des nombreux voyages « Le traitement en liberté de aliénés » était sa devise. Une visite officielle du président français Georges Clemenceau à une de ces colonies est décrite dans son livre sur son voyage en Amérique du Sud(4) 
Encore dans années  50, l’enseignement de la psychiatrie se déroulait dans les Chaires de psychiatrie implantées dans les Hôpitaux psychiatriques où une majorité de patients étaient des patients psychotiques chroniques. Une autre partie de la population ne bénéficiait pas d’aucune offre en matière de santé mentale car personne ne voulait aller volontairement à ces grands Hospices du Sud de Buenos Aires qui se délabraient d’année en année comme sa population de patients chronicisés (4.000 en 1955 à l’Hôpital Borda).La Ligue d’Hygiène Mentale avait comme objectif modifier cet état de choses mais ses membres travaillaient toujours dans les Hospices. Les quelques cliniques privées étaient réservées à une minorité.

LES ANNEES 50 et 60

3- La Rupture avec la psychiatrie asilaire : Le Projet Goldenberg

En 1956 il est crée le Service de Psychopathologie de Lanus ,1er service avec des lits d’hospitalisation (30) dans un hôpital général sous la direction du  du Prof Goldenberg qui va développer un centre de formation et de soins de référence en Argentine dans un hôpital générale et publique. L’Hôpital de Lanus, crée en 1952, faisait t partie du grand plan sanitaire du ministre  Santiago Carrillo de constructions des Hôpitaux Publique sous le gouvernement de Peron dans les nouvelles banlieues industrielles du Buenos Aires très développés avec la politique d’industrialisation des années 40 et 50 .Sur le plan architectural ,il   était identique aux Hôpital Castex, à San Martin, et Fiorito ,à Avellaneda. Il  a été nommé Hôpital Evita à sa fondation en hommage à  Evita Peron qui y avait séjourné pendant sa maladie en 1952.

Goldenberg est nommée médecin chef en 1956, une année après le renversement du président Peron par un gouvernement militaire ,et l’Hôpital se nomme alors Professeur G. Araoz Alfaro. Goldenberg va  développer un concept Santé mentale communautaire, psychanalytique  installée à proximité de la population, dans un grand hôpital, situé dans une banlieue industrielle du Sud de Buenos Aires, Lanus. (Par son aspect de proximité, elle rappelle le model français du Secteur des années 70). Il s’agit d’une psychiatrie proche de la médecine générale et pas éloignée  comme elle était encore dans les grands asiles crées par l’administration de Domingo Cabred, dans l’époque faste de l’Argentine des années 1910-1920.

4- Le Lanus : un lieu d’enseignement clinique

Goldenberg développe des collaborations avec des enseignants psychanalystes qui viennent à Lanus pour dispenser des enseignements, des supervisions, des contrôles, dans la majorité de cas à titre bénévole, aves la conviction de participer à un projet  de renouveler la santé Mentale dans l’argentine des années 60 et 70.Ce model attire des génération de psychiatres, psychologues et autres travailleurs de la santé mentale qui  vont se former avec l’enseignement dispensé au Lanus. Il développe un ’enseignement à travers des générations de professionnelles à travers une grande diversité d’orientations  psychanalytiques, sociologiques et communautaires.
Le  Lanus organise dès 1964 une résidence (internat) de 3 ans, des conventions de collaboration avec l’Université de Buenos Aires pour la formation pré-graduée et post-graduée. Goldenberg est nommée professeur adjoint dans les années 60, puis renonce à l’UBA en 1966 suite à « la nuit de longs battons » (intervention policière dans les locaux universitaires après le coup d’état de 1966).

Le service s’agrandi peu à peu :dans les années 60 et différents équipes composent son Service :2 unités d’hospitalisations de 30 lits, une équipe  de psychiatrie de liaison. Il y a  aussi un bâtiment de consultations avec équipe d’adultes  ,alcoolisme, enfants et adolescents, thérapie de groupes, Hôpital de Jours  et une équipe de psychiatrie sociale, le premier dans son genre en Argentine. Cette  équipe de psychiatrie Sociale est crée dans en 1964, ses membres se déplacent dans des quartiers très défavorisés de Lanus pour mieux connaître cette population et développer un programme de prévention et des collaborations avec des responsables locales .Goldenberg organise un Cours de promoteur sanitaire, spécialisé dans la repérage de certains troubles(alcoolisme, dénutrition , autres problématiques de santé)et leur dispense un diplôme de promoteur sanitaire. Le but était de favoriser les consultations à l’hôpital d’une population en situation de précarité matériel sans soins adaptés. Eduardo Colombo, résident à Paris depuis les années 70, m’a témoigne de sa participation au mouvement de psychiatrie sociale dans les années 60 et 70  et de l’invitation a David  Cooper, l’auteur de l’antipsychiatrie  en Argentine, pour venir parler à Lanus. L’histoire récente de la psychanalyse en Argentine est écrite  à Lanus à travers le  le rôle multiplicateur qu’il  a joué dans la diffusion de la psychanalyse comme model de référence pour des générations de cliniciens formés lors de leur passage par le Lanus.

Les psychanalystes et psychiatres de renom participent de séminaires réguliers de formation, des séances de contrôle de cas et de supervisions : Par  là ont passé José Bleger, Aurora Perez,Vicente Galli, Rafael Paz, Fernando Ulloa, Lia Ricon, David Liberman et bien d’autres que je n’arriverai pas à nommer ce soir. Dans les années 80, Mario Fischman ,ancien résident, faisait  ses contrôles de patients en salle d’hospitalisation  et nous introduisait aux classiques comme Clérembaault  et à la clinique de Jacques Lacan sur la psychose .Comme beaucoup d’autres il venait dispenser cet enseignement de façon bénévole. Différents générations de psychiatres, psychologues, psychanalystes se croissent et participent à une transmission entre générations, phénomène rare dans l’Argentine des années 70 et 80. Cette empreinte psychanalytique du Lanus  sera une de  pierres angulaires de sa célébrité car il s’agit d’offrir cette approche  à une population de ressources modeste dans un projet de travail collectif.

Goldenberg était un  psychiatre clinicien, espèce rare actuellement, il faisait son enseignement à travers des  présentations cliniques d’une grande valeur. Le respect à la parole du patient est cité par tous ceux qui ont aussi t à ces présentations. Ce respect à la parole du patient avant tout théorisation préalable a été stimulé par son intérêt par la psychanalyse. A ce propos je citerai les paroles de MariaEsther Prado dans un acte en 1994 en hommage aux 35 ans du Service. Elle  évoque l’exigence  de Goldenberg : « Pour parler avec lui on devait utiliser le mot psychose dans un sens limité et précis, c'est-à-dire si on repérait des troubles due la pensée :barrages , néologismes , coq à l’âne, interceptations .On devait distinguer paranoïa, paraphrénie, épisode psychotique aigue ou psychose hystérique. Plus tard j’ai remarqué que cette exigence était demandée  par Lacan à ceux qui l’entouraient, le repérage de la structure et en particulier pour la psychose pour les problèmes spécifiques sous-jacents. Goldenberg avait captait au delà de  la plupart des analystes argentins de l’époque. Il a été notre Clérembault ! »(5)

Le Projet d’une Santé Mentale ouverte à la Cité :

En effet le grain donne des nouvelles exemples et différents Unités et services sont crées dans le projet de développer une Santé Mentale de proximité. D’autres unités de psychiatrie sont crées dans des Hôpitaux Généraux : le service de psychiatrie de l’Hôpital Piñeiro ,Fernandez, Argerich Alvarez et, dans la Province de Buenos Aires, l’hôpital Estevez, Fiorito, San Isidro  et Castex. Ils ont aujourd’hui plus d’une trentaine de services seulement à Buenos Aires.
Le Centres de Santé Mentale 1 et 2 (consultations ambulatoires) de la Capital Fédéral crées par initiative de Goldenberg, conseilleur de la ville en santé Mentale, dans les années 60 sont des centres ambulatoires  multidisciplinaires implantés dans de quartiers populaires de Buenos Aires pour un population consultante très variée. Le modèle de  communautés thérapeutiques s’implante dans les anciennes Colonies fondées par Cabred : par ex.  à l’Hôpital Estevez mais également à l’intérieur du pays comme  La Colonia Fédéral à Entre Rios(expérience du Dr Camino) et dans l’ancienne Colonie psychiatrique d’Open Door à Lujan .

LES ANNEES  70

5- Le départ de Goldenberg du Lanus

Le Lanus a connu ce qui a connu l’Argentine des années 70. Une politisation croissante des activités professionnelles, une radicalisation des positions politiques, une tension entre les prises de position professionnelles et politiques qui parfois provoquent des ruptures, un antagonisme entre personnes et groupes selon leur appartenance ou leur manque d’appartenance. L’Association psychanalytique argentine (APA)connaît à al fin des années 60 une scission à travers les groupes Plataforma et Documento. Ils critiquaient entre autre à l’APA l’absence d’une étude plus approfondie des phénomènes sociaux et politiques présents dans la pratique clinique. Les années 70 voient la création de la Fédération Argentine de psychiatres(FAP) associée au « projet de Libération National » ayant Marie Langer comme présidente en 1972. Le départ de Goldenberg en 1972 du Lanus se situe à cette époque pour créer un service de psychiatrie dans un Hôpital privée, l’Hôpital Italien à Buenos Aires.qui reproduit certains principes du Service de Lanus, une psychiatrie moderne, d’orientation psychanalytique dans un renommé hôpital général de la ville de Buenos Aires. Il y retrouve le Dr Carlos Pereyra, un de ses anciens maîtres en psychiatrie clinique. A la tête du service de Lanus, il  est succédé par le Dr Valentin Barenblit, disciple très proche qui maintient l’orientation du Service pendant des années très difficiles en Argentine sur le plan politique et sociale. Dans les années 70, la violence politique s’installait peu à peu dans cette société argentine et chacun peut y témoigner de son vécu dans cette période

6- Le coup d’Etat militaire de mars 1976

La violence qui s’est abattu sur l’Argentine dans ces années est difficile à résumer en 20 minutes de présentation. 
Ma génération a appris à travers les manques de transmission, les non dits, les silences sur l’histoire récente. Il fallait chercher les éléments qui nous manquaient .Pendant mes gardes des anciens infirmiers du service  Eva, Santos, osaient exprimer ce qui était passé plus directement que des collègues psychiatres ou psychologues. En 1976,  Mauricio Goldenberg , déjà menacé par la Triple A pendant le gouvernement d’Isabel Peron, quitte l’Argentine définitivement pour s’installer au Venezuela où il fut très bien accueilli par des anciens disciples et il continua à exercer son enseignement .En Argentine , son fils Carlos, né en 1952, militant de la gauche péroniste est tué en 1976.Son parcours militant est abordé dans un livre de Martin Caparros et Eduardo Anguita , la Voluntad(6).Il était gradué du collège National de Buenos Aires en 1972 et son nom fait partie du mémorial en bronze du Collège avec les noms  de 105 anciens étudiants morts pendant cette période. Un autre fils mort également pendant cette période. 

Le service du Lanus  a souffert le coup d’état en plein fouet : le Dr Barenblit est licencié par décret peu de temps après le coup d’état militaire, comme d’autres milliers des fonctionnaires. Pour maintenir la cohérence de travail avec les professionnels qui travaillent au Lanus, les réunions de staff se déroulent clandestinement, en privé, à son domicile. Puis survient sa détention  arbitraire  et son départ pour l’Espagne. Le service connaît une période difficile et chaotique, une majorité de professionnelles arrêtent leur travail, une autre partie continue à y travailler avec le compromis de suivre le projet initial tracé par Goldenberg. En 1977, un Coronel neurologue (!!)est nommé chef de service intérimaire du Lanus pendant une année. L’internat de psychiatrie est supprimé pendant 3 ans .Les réunions d’équipe et tout autre réunion de groupe (y compris les thérapies de groupe !) interdites pendant une année par la direction de l’hôpital. Il y a une désertion massive des professionnels qui participaient au service pour des raisons évidentes d’insécurité  en lien avec la désignation du Lanus comme un lieu suspect de probable filiation de gauche, voir « subversive » selon le langage de l’époque militaire. L’unité hospitalière est réduite à son tiers de capacité, l’équipe de psychiatrie sociale et l’hôpital de Jour disparaissent (la nouvelle cafeteria du personnel est installé à sa place).

En 1977, Martha Brea, responsable de l’équipe adolescents est arrête par un groupe armé dans la consultation du Service  devant collègues et patients qui assistent impuissants à la scène de violence. Des événements similaires se déroulaient dans tout le pays sur les lieux de travail ou le domicile de tous ceux qui étaient jugés proches ou engagés dans un projet politique, sanitaire ou social de changement. Sa trace est actuellement connu à travers de témoignages des rescapés de champ de torture : elle a été arrête dans le champ El Vesuvio. Ces témoignages permettent de reconstruire l’itinéraire de Marta Brea , détenue au champ clandestin de torture « el Vesuvio », près de l’Autopiste Ricchieri et le Camino de cintura , proche de l’hôpital de Lanus et de  l’aéroport d’Ezeiza . Elle a été identifiée par quelques survivants détenues  en sa compagnie dans des conditions inhumaines, et sans doute  assassinée pendant cette période (archives pouvoir judiciaire) et (7). En 2003, un centre d’accueil et de soutien  psychologique pour des adolescents en situation de difficulté extrême et de précarité a été crée à Lomas de Zamora et  porte le nom de « Marta Brea »en son hommage.

LES ANNÉES 80

7- Un autre pays, le Lanus reprend, et la Nave va…
 


Un médecin chef de service, ancien résident est nommée chef de service intérimaire. L’internat reprend en 1979, les équipes reprennent grâce au volontariat bénévole de psychologues et psychiatres qui  participent des activités cliniques. Quelques médecins sont nommés pour assurer la coordination  de certains équipes : liaison, hospitalisation récupère les 28 lits. Les séminaires de formation et les supervisions reprennent peu à peu son dynamisme. Des anciens internes et professionnels qui se sont formés avec Goldenberg participent activement aux activités d’enseignement et cliniques. Ils ressentaient l’envie de participer à maintenir vivant l’héritage laissé par Goldenberg. En 1985, année  où j’ai fini mon internat, il y avait  140 professionnels travaillant dans le service de Lanus. Les équipes ambulatoires adultes, enfants, adolescents, groupes, liaison et alcoolisme existaient toujours .L’équipe de psychiatrie sociale et l’Hôpital de jour n’avaient pas revu le jour. Mais un club de resocialisation « Amanecer (à l’aube)» continuait à fonctionner animé par de internes du Service, les seuls rémunérés à part quelques médecins du staff. Ma génération des années 70  a rencontré dans ces années 80 un pays dévasté sur le plan politique, culturel, social et économique. La psychiatrie argentine, comme  le Lanus, c’était un pays sans Maîtres ,partis dans l’exil intérieur ou à l’extérieur. Je dois remercier les patients ,mes enseignants bénévoles et tous  les collègues qui ont contribué à m’apprendre la clinique dans une situation difficile pour l’Argentine. Je suis reconnaissant à ma rencontre avec la psychose dans l’unité hospitalière et à travers l’enseignement de Mario Fischman  qui nous guidait à travers  Clérembault , les classiques de la psychiatrie française et Jacques  Lacan. C’était à travers la sémiologie et l’écoute du patient un retour à la clinique rigoureuse de Goldenberg.

Mon hommage aux  patients du Lanus

Mon premier patient était un peintre en bâtiment avec une dépression sévère, licencié après 20 années de travail par une grande entreprise  traditionnelle de Lanus en faillite. Combien nous étions loin des années Goldenberg qui négociait avec les entreprises de Lanus   des activités de resocialisation pour éviter la dépression des travailleurs partis à la retraite !!!!(2). Je garde le souvenir d’un patient psychotique, vivant dans la précarité avec 3 enfants , qui travaillait comme «  cartonero » avec son fils âgé de 8 ans. Qui dirait qu’il était le précurseur en 1983 du métier précaire née de la crise économique argentine de 2001 ! En 1984 dans ma rencontre avec un patient  toxicomane, j’ai constaté l’absence de formation sur la e clinique de la toxicomanie dans le service, raison qui m’a poussé à me former à cette approche en Europe. En 1982, à travers la garde je découvrais le retour traumatique des soldats de 19 ans de la guerre des  Malouines que l’Argentine ne voulait pas entendre .Aucun programme de soins spécifique n’était mis en place par le gouvernement ni les autorités pour leur accueil.
 

8- 1984 :Le retour de Goldenberg ?

Rien  ne sera comme avant, ni l’Argentine ni le Lanus

En 1984, le  De Goldenberg revient  en Argentine invité par le gouvernement démocratique de Raul Alfonsin qui lui propose de diriger un nouveau programme de Santé Mentale. Il se rend à l’hôpital de Lanus pour un hommage dans un salon d’actes plein. Il reconnaît son émotion mais précise son projet futur : « je reste à Venezuela ».L’Argentine et le Lanus ne seront plus comme avant et il est impossible de revenir en arrière. Mais il laissera derrière lui un héritage ineffaçable ainsi qu’un certain espoir sans réponse pour les années à venir. Ce même année  1984, le Dr Barenblit , son successeur, a été  également accueilli àl’Hôpital de  Lanus ,dans ce même salon d’actes .Il continuera sa route à Barcelone, en développant une collaboration fructueuse et permanente avec des institutions de formation  et des professionnels en Argentine. Il a été nomme professeur honoraire par la Faculté de Psychologie de l’UBA.

LES ANNÉES  80-90 

La situation du système publique de Santé. Le désengagement de l’Etat dans la politique de Santé mentale

A partir du coup d’Etat militaire et malgré la succession des gouvernements démocratique depuis 1983, le système public de Santé connaît une péjoration progressive. Le système privé à travers des mutuelles commence à jouer un rôle de plus en plus actif dans le système de soins et ce sont les initiatives privées et associatives qui remplissent un rôle actif dans le domaine de la Santé mentale. La diminution des ressources qui affecte le système publique  réduit les institutions publique à prendre en charge la population sans couverture de santé et les cas plus désocialisés et marginalisés sans couverture. Les grands asiles de Buenos Aires, l’Hôpital Bord  et Moyano, hébergent dans des conditions précaires des milliers de patients chronicisés sans projets de réinsertion. Le manque de structures alternatives pour les  accueillir contribue à éterniser cette situation .Un projet immobilier privé qui vise un grand chantier dans  le sud de la Ville semble être le détonateur d’une transformation radicale de ces  grand asiles implantés en plein quartier sud de la ville.

Le projet Goldenberg d’une Santé mentale publique moderne, proche de besoins de la population, innovante, inspiré de la psychanalyse et  accessible à tous est d’une évidente actualité, en Argentine mais aussi en Europe(8).
La psychiatrie actuelle enfermée dans les catégories diagnostiques et les échelles d’évaluation s’éloigne d’une approche clinique basée sur l’ouverture à l’autre. La gestion économique des hôpitaux et les plans de carrière académiques sont plus propices à d s approches pragmatiques, voir à des programmes de soins structurés, loin d’une clinique du cas par cas, centrée sur le sujet. Une psychanalyse, active, implantée dans les institutions et ouverte aux problématiques cliniques contemporaines semble loin de la de la psychanalyse actuelle en Europe, depuis longtemps centrée sur la  pratique privée et  peu présente dans les services universitaires , hospitaliers ou de formation. Aujourd’hui  en revanche, il semble que les psychanalystes tentent de reprendre le terrain perdu avec des initiatives qui vont dans les sens de redevenir protagonistes avec des initiatives comme les CPCT  et la clinique de la précarité symbolique ou bien des projets pour de jeunes en grandes difficultés. Les centres psychanalytiques d’accès gratuit pour de sujets en situation de difficulté ou de précarité sont un exemple actuel de ce que Le Prof Goldenberg a déjà crée à Lanus à partir de 1956.C’était sans doute un model d’innovation et de rupture avec un model asilaire .qui avait dominé la psychiatrie en Argentine pendant plus de 50 ans et un projet pour motiver les psychanalystes à travailler en institution avec d’autres. Il est dans la ligne du souhait de Freud dans son texte de 1919 : 
 

« Un jour la conscience social s’éveillera et rappellera que les pauvres ont le même droits à un secours psychique qu’à la médecine chirurgicale. La société n’est pas moins menacée par la névrose que par la tuberculose. A ce moment là on édifiera des établissements, des cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés.ces traitements seront gratuits .Nous nous verrons alors obligés d’adapter notre technique à ces conditions nouvelles» (9) 


Références:

1) « Mauricio Goldenberg,el maestro del Lanus », Entretien avec Ana Diamant,1996, Archivo testimonial y documental, Facultad de Psicología, UBA
2) « Mauricio Goldenberg, une figure de la psychiatrie mondiale », entretien avec Rolland Brocca, Revue L’Ane, 1988.
3)« Mauricio Goldenberg : Argentine psychiatrist »,by Matt Schudel, Washington Post, 15 september 2006
3) Histoire de la psychiatrie et la psychanalyse en Argentine, Le Service de l’Hôpital de Lanus, Univ Paris V, mémoire DIS en psychiatrie, Nelson Feldman,1992,
4) Georges Clemençeau, « Notes de voyage Dans l’Amérique du Sud  » ,« Une curieuse maison des fous : les fous en liberté », pages  89-90, Unesco, Editions Utz, Paris,1991
4) Publication : « 35 Años, Primeras Jornadas de Encuentro del servicio de Psicopatologia del Policlínico de Lanus”, 423 pages,1992
6) “La Voluntad, una historia de la militancia revolucionaria en Argentina”, Martin Caparros et Eduardo Anguita ,Vol 2 (1973-1976) et 3(1976-1978),Grupo Editorial Norma, Buenos Aires,1998
7) Journal Página 12, Osvaldo Bayer, « Batallas argentinas », juin  1998
8) Journal Le Monde, 21 novembre 2008, C. Prieur ,  « La psychiatrie française va de plus en plus mal ».
9) Sigmund Freud, La technique analytique, PUF,1953
 

* Image de l'ouvrage de Sergio Visakovsky : "El Lanús", Buenos Aires : Alianza Editorial, 2002