Brèves de divan virtuel en temps de confinement – Dominique WINTREBERT

Brèves de divan virtuel en temps de confinement (mai 2020)

 

Dominique Wintrebert

 

 

 

  1. Drôles de coupures

Ce patient a la particularité de chercher ses mots pour dire. Un long silence peut séparer deux énoncés, suscitant chez celui qui l’écoute une inquiétude, jamais ressentie avant la pandémie lors des séances in praesentia         : sommes-nous toujours en contact ? Le silence prend une connotation abyssale jamais éprouvée de cette façon-là par l’analyste.

D’ailleurs, ne faudrait-il pas substituer au terme in praesentia qui s’est imposé celui de in absentia, dont le sens est « hors de la présence réelle », alors que le sens de in praesentia semble plutôt inclure la temporalité du moment présent  ?

Cette autre patiente n’a, elle, aucun problème avec la parole qu’elle émet sans guère d’interruptions autres que celles nécessaires à préciser sa pensée. La communication se coupe. J’attends qu’elle me rappelle. Quelques minutes passent. Je lui envoie un SMS pour lui dire que nous ne sommes plus en ligne. Elle ne s’en@ était pas aperçue…

 

  1. Associations « libres » du temps présent

 

Tintin a égayé nombre de parcours analytiques. En voici une de ses occurrences, antérieure à la pandémie : dans Tintin au congo, le jeune reporter inventé par Hergé tire sur une antilope qui réapparaît après chaque tir. Il lui faudra aller sur place pour comprendre que ce n’était jamais la même et qu’il a réalisé une hécatombe. Notre Tintin analysant mettra du temps avant de faire de l’antilope son animal totémique et que l’analyste y lise l’increvable père de l’obsessionnel.

L’autre, récente, concerne le Trésor de Rackam le rouge. On y voit Tintin coincé au fond de la mer dans un sous-marin en forme de requin dont l’hélice s’est pris dans les algues. Pas de confinement plus important que dans cet appareil présenté justement par le Professeur Tournesol à Tintin comme le moyen d’échapper aux requins. Idée intéressante que ce faire semblant d’en être pour échapper à leur menace. Qu’une patiente puisse y reconnaître la représentation du ventre maternel n’étonnera personne. Ses associations la conduiront vers les déboires de l’accouchement, la menace de castration sous la forme de l’épisiotomie et la difficulté d’avoir un enfant.

Restons dans les histoires de ventre, durement sollicité en ces temps de confinement, jouissances orales et absence d’exercice ayant contribué à de nombreuses prises de poids. Un néologisme, « imange », condense chez cette autre patiente « image » et « mange ». L’image dont il est question est là encore, celle du ventre maternel, mais également un point de fixation orale qui se traduit par des comportements boulimiques. Elle fait résonner à cette occasion l’ « entre » que l’on entend dans ventre, elle qui a toujours dû s’effacer et mendier l’amour d’une mère narcissique. Mais on peut aussi y entendre l’antre qui sert de refuge. Et ses associations la conduisent aussi sûrement que la patiente précédente à la castration : elle se souvient de l’histoire d’un garçon qui avait, sans en avoir le droit, adopté un renard. Il le cachait sous sa chemise et le renard lui mangeait le ventre.