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ENTRETIEN AVEC JEAN GARRABE

Lors d'un entretien avec Diana Kamienny-Boczkowski, Jean Garrabé expose ses rapports avec le monde hispanique de la psychiatrie et son point de vue sur la nouvelle révision de la classification française des troubles psychiques de l'enfant et l’adolescent dont la particularité est d'être influencée par la psychanalyse et qui, en cours de traduction à l'espagnol, devrait bientôt paraître à Buenos Aires. Il fait suite à son intervention au congrès d'A.P.S.A. qui a eu lieu à Mar del Plata en avril 2003.

AFAPSM - Merci de nous avoir accordé cet entretien après notre symposium sur la schizophrénie débutante dans le cadre du Congrès Latino américain de psychiatrie de Mar del Plata. Ce n’est pas la première fois que vous êtes invité en Amérique Latine. Quelles sont vos relations avec le monde hispanophone ?

Dr Jean Garabé -Ma mère était espagnole, j’ai donc fait mes études secondaires au lycée français de Madrid pour venir ensuite faire mes études de médecine en France, à Paris. Toute ma carrière professionnelle s’est déroulée dans la région parisienne. Une grande partie s’est déroulée à l’Institut Marcel Rivière de l’Education Nationale et là, j’ai reçu très tôt des stagiaires étrangers, comme on disait à l’époque, soit Espagnols, soit Latino-américains, par exemple. J’ai reçu le professeur Bobes qui est maintenant professeur à Oviédo mais, à l’époque, je l’ai reçu comme jeune stagiaire étranger. Parmi les Argentins j’ai reçu Mr et Mme Eiguer, qui sont venus à La Verrière, à leur arrivée en France.

Avec l’Espagne, les liens se sont beaucoup développés puisque j’ai encore connu le professeur J. J. López-Ibor père, et ensuite j’ai connu son fils à Madrid, où j’ai rencontré aussi nombre de Latino-américains.

Avec le Mexique, je crois que c’est le fait d’une rencontre avec Héctor Pérez Rincón qui était lui-même venu à Sainte-Anne et qui est francophone-francophile et qui a traduit en Espagnol, trois de mes ouvrages, dont un Dictionnaire taxinomique de psychiatrie. C’est un peu la connexion avec le problème des classifications. De sorte qu’en particulier, j’ai participé à des réunions de l’Association Mondiale de Psychiatrie de la section classification qu’anime Juan Mezzich, actuel Président de la W.P.A.

AFAPSM - Cet intérêt pour les classifications remonte à loin, alors?

Dr JG - Cela remonte à la parution de la CIM 10 et au fait que DSM IV a un point de vue exclusivement nord américain. Dans DSM IV, il y a une partie intitulée « syndromes liés à la culture »; on trouve la même chose d’ailleurs dans la classification de l’OMS, pas du tout référée au contexte culturel et au contexte historique. Je trouve qu’il y a beaucoup de concepts psychiatriques et psychanalytiques qui sont incompréhensibles si on ne les réfère pas à leurs histoires.

Le deuxième point : j’ai publié « L’histoire de la schizophrénie » il y a maintenant dix ans. La première édition a été traduite en espagnol par Héctor Pérez-Rincón, puis en russe et en italien. La deuxième édition est en traduction en portugais et en japonais. Je trouvais très étonnant que dans le DSM l’on dise « on pouvait difficilement définir la schizophrénie parce qu’il y avait eu différentes conceptions » sans indiquer lesquelles et comment elles s’étaient succédées.

Entre temps, les choses se sont beaucoup modifiées, ne serait-ce que pour la schizophrénie entre Kraepelin et Bleuler, il y a l’arrivée de la psychanalyse. Je pense que l’on pourrait avoir la même critique par rapport à certains psychanalystes qui parlent aussi de concepts psychanalytiques comme s’ils étaient complètement détachés du contexte historique et culturel. Lacan, c’est très difficile parce que surtout dans le séminaire, en raison de sa culture extravagante, il cite sans dire qui c’est. Il dit : « je est un autre », pour Lacan s’était sûrement, inutile de dire que c’est d’Arthur Rimbaud dont il s’agit parce qu’il suppose que tout l’auditoire connaît Arthur Rimbaud. Du coup les gens disent : « Lacan a dit Je est un autre moi  ». Je crois que pour la question des classifications, et je vais encore renchérir là-dessus, cela me paraît très présent et ça justifie deux choses :

On ne pourrait pas imaginer en psychiatrie une classification qui serait ne varietur, qui serait faite une fois pour toutes, qui serait valable comme la classification des atomes

AFAPSM- Qui a tout de même été modifiée….

JG - Même celle-là, je crois que vous avez raison, on est obligé de modifier en fonction des avancées de la science.

Pour la classification internationale des maladies, en ce qui concerne le chapitre consacré à la psychiatrie, il doit corresponde au schéma général de classification pour toutes les maladies. Est-ce que l’on peut faire une classification pour les troubles mentaux qui soit sur la même méthodologie que pour l’ensemble des maladies ? En tout cas, c’est le choix qu’a fait l’OMS. Parce que l’on pourrait dire aussi que l’on peut faire une classification psychiatrique à part. On en vient à la classification française, que l’on appelle quelquefois « CFTMEA Mises » parce que c’est R. Mises qui était la cheville ouvrière, les singularités qui n’ont pas changé sont :

1° - Une classification spécifique pour l’enfant et l’adolescent, alors que dans les autres classifications des troubles mentaux, il n’y a pas de catégorie spécifique pour l’enfant et l’adolescent. Même si quelquefois on signale l’âge du début des troubles, mais on ne dit pas ce que cela a de particulier sur l’enfant et l’adolescent, de sorte que si l’on lit dans le DSM le chapitre de « schizophrénie », on peut croire que la schizophrénie de l’enfant c’est la même chose que la schizophrénie de l’adulte alors que la clinique montre qu’il est très rare que la schizophrénie de l’enfant évolue à l’âge adulte en schizophrénie de l’adulte.

2° - Deuxième particularité : C’est que du coup, elle est essentiellement psychopathologique parce que l’on a dit « c’est une classification avant tout psychanalytique ». Moi je dirai plutôt c’est une classification au moment où la psychopathologie a été enrichie par la psychanalyse.

AFAPSM- Qu’est-ce qui justifie selon vous la révision ? Quelle spécificité concevez-vous pour cette classification ?

JG - Alors la justification de la révision : une grande raison de cette révision, c’est qu’entre temps la classification internationale a été modifiée parce que la première édition de la classification française, correspondait à la CIM 9. Alors on a voulu la modifier pour établir des correspondances avec la CIM 10, quand on peut les établir, car l’on s’aperçoit que dans certains cas il y a des catégories qui n’existent pas dans dixième édition.

La deuxième raison, c’est de voir le problème de la relation précoce de 0 à 3 ans. Je dis précoce, car il est évident qu’à ces âges là il est absurde de proposer une classification. Peut être que cela aussi est considéré comme très psychanalytique car c’est vrai, surtout en France, ces sujets ont été étudiés tôt, et c’est resté longtemps ignoré; puis à un moment donné, on pourrait presque dire que cela est devenu un sujet à la mode.

Là aussi, en France, il y avait un psychiatre, un psychanalyste quelqu’un qui était d’une extrême modestie, Pierre Male, il s’est beaucoup intéressé à l’adolescence et à sa psychopathologie qui n’était ni celle de l’enfant ni celle de l’adulte. Pour des raisons diverses, une des raisons, raison institutionnelle, je ne sais pas comment cela se présentait en Argentine, à tel âge on considérait que c’était de la pédiatrie, et à partir de tel âge c’était la psychiatrie d’adulte. De sorte que la révision a porté beaucoup là-dessus et pour en donner un exemple qui rejoint d’ailleurs un autre sujet on a introduit un chapitre spécifique « Aspects prodromiques de la schizophrénie chez l’adolescent » donc on a été assez prudent parce que l’on a dit que ces prodromes qui peuvent annoncer une schizophrénie ultérieure mais qui peuvent ne pas évoluer vers la schizophrénie ou évoluer sur d’autres états pathologiques et que là, c’est très difficile à repérer.

AFAPSM Quelles impressions vous a-t-elle laissé la réunion à l’hôpital d’enfants à Buenos Aires ?

JG Il y avait à cette réunion un public aussi bien pédiatrique que strictement psychiatrique. D’après les questions, j’ai eu l’impression que le public a été très attentif et il y a des gens qui se sont présentés après, en me disant qu’ils étaient pédiatres, et qui néanmoins paraissaient très intéressés par une classification d’orientation psychopathologique donc me semble-t-il à contre courant de l’idée reçue que les pédiatres aiment mieux des classifications presque neurologiques. Je pense qu’il y a des pédiatres qui raisonnent comme cela, ils sont peut-être en majorité, mais il y a par contre des pédiatres qui manifestement veulent plutôt des indications sur la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Là j’ai senti un très grand intérêt qui s’est d’ailleurs concrétisé rapidement par l’offre de Stagnaro de faire la traduction de la révision de la CFTMEA.

Pour moi, c’était un peu la découverte de l’Argentine, j’ai été très impressionné par la richesse des échanges franco-argentins dans le domaine de la psychiatrie, qui a l’air de remonter à l’origine même de la psychiatrie dans ce pays.

Je me suis posé la question : comment ces échanges se sont-ils poursuivis ? On en cite toujours la vie de Angel Garma qui après la Guerre d’Espagne et un séjour en France est parti en Argentine. Garma est compliqué de ce point de vue là, du point de vue de la transmission des idées parce que d'origine espagnole, il est parti en Allemagne pour se former à la neurologie et il revient avec la psychanalyse. Alors, je pense qu’il serait intéressant de voir comment s’est fait le passage des idées ou l’échange des idées. Bien entendu, pour Lacan, j’ai été absolument impressionné par la traduction du livre VIII de son séminaire qui était en vente dans toutes les librairies de Buenos Aires. Je pense qu’il doit y avoir de multiples courants.

AFAPSM C’est certain !

DrJG - Je serai plus curieux de savoir ce qui s’est passé, parce dans les échanges internationaux, il est évident qu’il y a eu une grande interruption pendant la guerre. En psychiatrie en général, le rétablissement des échanges, intervient lors du premier Congrès mondial de Psychiatrie 1950, à Paris. Si l’on veut approfondir, quels sont les psychiatres argentins qui sont venus en 1950 ? Je serai curieux de savoir comment çà s’est passé. Ce sont effectivement des choses concrètes parce que si nous prenons l’exemple des Espagnols, en 1950, il y avait la distinction entre les Espagnols d’Espagne si je puis dire, qui pouvaient être bien vus du régime, et ceux que l’on appelait les exilés intérieurs, c’est-à-dire des psychiatres républicains comme on dit en Espagne, et qui étaient restés en Espagne. Par contre, il y avait donc les exilés. Et il y en avait beaucoup à Mexico, et je suppose qu’il y en avait aussi en Argentine . Ils sont sans doute revenus en Europe à l’occasion du Congrès mondial de psychiatrie. Parce qu’en suite, quand les échanges s’enrichissent à partir des années 1970, c’est que pendant 20 ans il y a eu un certain nombre d’échanges qui se sont faits, qui peuvent d’ailleurs être des échanges directs ou indirects. Je vous disais tout à l’heure que je suis allé souvent à Mexico et là j’ai eu la surprise de retrouver des Argentins.

Chez Lacan il y a quelque chose qui est assez particulier, c’est que la notoriété de Lacan, même en France, c’est à partir des «  Ecrits » et donc Lacan a déjà les 60 ans. De la parution j’ai discuté avec des collègues espagnols qui ont découvert Lacan à travers les Ecrits, leur traduction, etc. et qui se sont étonnés d’apprendre que Lacan était venu faire une conférence à Barcelone invité par Sarro. La conférence a lieu bien avant la notoriété des Ecrits.

AFAPSM - Que pensez-vous des effets de transmission des traductions ?

DrJG - Il y a passage direct ou indirect il y a aussi cet aspect, les gens sont connus d’abord par des commentaires avant que l’on traduise leurs œuvres.

Il y a tout un processus, on est quelquefois un peu étonné. Moi-même pour cet ouvrage là par exemple, les Italiens l’ont traduit l’an dernier donc au bout de 10 ans. Alors pourquoi l’histoire de la schizophrénie ? Du coup, je suis allé en Italie à deux reprises l’an dernier, j’étais presque surpris de lire cette traduction. Pour eux, c’était quelque chose de récent alors que je l’ai écris il y a dix ans.

Je parlais avec quelqu’un qui n’est pas français mais qui parle très bien français, et j’avais employé le terme commerce des idées. Alors çà le surprenait beaucoup et je disais qu’au siècle des Lumières, c’est ce que l’on disait.

J’ai assisté à une réunion à Sainte-Anne où l’on parlait du dernier livre de M. Borch-Jackobsen et je pense que devant les attaques que subit actuellement la psychanalyse et le freudisme, de la part de ceux que l’on traite de révisionnistes, si les psychanalystes restent divisés, la psychanalyse sera balayée.

Ce livre a eu le prix de la Société d’histoire de la médecine et Elizabeth Roudinesco m’a passé une lettre qu’elle a écrite au Président de la Société en question en protestant contre l’attribution.

Charles Melman et Daniel Widlöcher m’ont dit qu’ils aimeraient bien faire un débat entre eux sur l’objet de la psychanalyse en me demandant si je pensais qu’on pouvait le faire à l’Evolution Psychiatrique. D’autant plus, que j’ai eu rapidement Georges Lanteri Laura qui m’a dit « mais les discussions sur l’objet de la psychanalyse rejoignent beaucoup la discussion actuelle sur l’objet de la psychiatrie ». Je n’ai pas pu aller aux Etats généraux de la Psychiatrie, j’ai vu qu’il y a un certain nombre de Sociétés psychanalytiques qui se sont un peu raccrochées au wagon de la psychiatrie en disant la crise de la psychiatrie intervient aussi dans la psychanalyse, la psychiatrie peut basculer complètement du côté de la psychiatrie biologique.

AFAPSM Et votre impression sur la psychiatrie actuelle vue de la France ?

DrJG- Je prends par exemple, le fait que Mezzich soit venu est intéressant parce que c’étaient les Etats généraux de la psychiatrie française, mais pour Mezzich çà se pose dans le monde entier.

Je vais vous donner un avis un peu personnel, ce que je regrette c’est que je trouve que les psychiatres français ont un peu une position de découragement et de lamentation, je pense que ce sont des gens plus jeunes qui doivent prendre en charge l’avenir sur le mode classification, je connais Mises depuis toujours, il m’a demandé d’être associé au groupe de travail, d’être associé au groupe de travail pour deux raisons :

La première, c’est qu’il souhaitait que ce soit sous l’égide de la Fédération française de psychiatrie. Là d’ailleurs, je vais faire un retour en arrière parce que je dois dire que quand on a créé la Fédération française de psychiatrie, un certain nombre de gens pensait qu’on allait à l’échec. Comment voulez-vous réunir des Sociétés qui ont des orientations théoriques tout à fait différentes ou plus psychanalytiques, les autres plus psychiatriques et biologiques, etc. ?

Roger Mises voulait que cette classification soit sous l’égide de la Fédération française de psychiatrie pour ne pas qu’on puisse dire « mais c’est une classification qui ne correspond qu’à un seul courant de la psychiatrie ». D’ailleurs, dans la classification, nous avons introduit des nouveautés qui viennent de courants non psychanalytiques. Le syndrome de Rett, le syndrome d’Asperger etc. sont dans la classification.

La deuxième raison de ma participation était que j’avais écrit sur le dictionnaire taxinomique et que l’on savait que je m’intéressais au problème théorique des classifications.

Si par exemple, les retards du développement intellectuel ou les retards des fonctions instrumentales etc., sont décrits du point de vue clinique et rien n’empêche de dire que le développement intellectuel est tel et du point de vue pathologique c’est lié à telle anomalie génétique si elle est connue.

Donc je crois aussi que c’est une preuve de non fermeture, d’ouverture .

AFAPSM- Alors revenons à l’Argentine

DrJG-Si vous voulez, j’ai été impressionné, en particulier, par le Symposium franco-argentin par son succès, le sujet qu’on a abordé me paraissait très représentatif de ce courant actuel qui se voit me semble-t-il chez les jeunes psychiatres qui est qu’ils se tiennent au courant des dernières nouveautés parus au niveau international, etc. Mais que c’est souvent reçu comme des arguments d’autorité. C’est-à-dire, Monsieur Untel a publié telle chose, dans telle revue internationale surtout d’ailleurs si elle est publiée en anglais et du coup et bien, on ne peut que s’incliner devant ce document.
 
 

AFAPSM - On voit bien les liens entre savoir et pouvoir …

DrJG - Je ne sais pas ce qu’on entend par auteurs anglo-saxons, c’est manifestement les gens qui publient dans des revues nord-américaines en anglais, et là-dessus on s’incline devant cette autorité peut être avec des questions de pouvoirs économiques parce que à la limite les auteurs s’appuient sur l’IRM ou le PET-scan que l’on n’a pas la possibilité de la vérifier. Je ne sais pas quel est le nombre de centres psychiatriques à Buenos où l’on peut pratiquer tels examens chez les schizophrènes ; il ne va pas y en avoir des masses, le nombre de malades schizophrènes que l’on peut inclure dans une étude multicentrique sur le dernier antipsychotique sur le marché, le plus cher d’ailleurs c’est la même chose. Peut être qu’on s’incline un peu devant le pouvoir économique.

Je ne dis pas que ce soit propre à l’Argentine je rappelle d’ailleurs que j’ai dis très prudemment que ce jeune psychiatre argentin me paraissait témoigner de ce qui est effectivement très international et je suis convaincu effectivement que le même phénomène se passe en France de telle sorte que je ne sais pas trop comment on peut le redresser.

J’avais évoqué par exemple tout à l’heure l’Université. Je crois que dans la transmission des connaissances en psychiatrie, on a cette difficulté de transmission qui peut difficilement se faire uniquement par la voie universitaire, par la voie universitaire on ne peut transmettre que des connaissances toutes faites, prêtes à porter, et que en vérité, la véritable transmission est la transmission de la pensée, c’est-à-dire apprendre à penser.

J’ai bénéficié de l’enseignement d’Henri Ey et un jour je me suis attiré cette remarque « mais enfin vous ne croyez pas en l’organodynamisme » . Je ne crois pas en l’organodynamisme comme si c’était une religion, ce que j’ai retenu de Ey, c’est qu’il disait «  bien voilà devant un malade mental la théorie que moi je me suis forgée pour essayer de comprendre ». Et d’ailleurs l’organodynamisme, je connais bien l’œuvre, l’organodynamisme de Ey en 1930, ce n’est pas le même que celui de 1970, quand il est mort.

Je peux dire qu’on peut faire la même remarque de l’œuvre de Lacan. Il y a des gens d’ailleurs qui s’amusent à relever les contradictions de Lacan, mais Lacan a peut-être dit quelque chose en 1930, dans sa thèse, puis 40 ans après il disait exactement le contraire parce que simplement sa pensée a évolué. Je n’ai pas suivi l’enseignement de Lacan comme celui de Ey, si ce n’est à quelques séances de séminaires mais à la limite je pense que ce que l’on pouvait en tirer aussi c’était apprendre à penser.

D’ailleurs, cela devient tout à coup d’actualité, parce que l’Association française de psychiatrie organise une réunion « Penser la Psychose » mais j’espère que l’on ne va pas penser psychose avec des théories toutes faites. Un contradicteur disait quelque chose de très intéressant : « mais quand je lis Freud la névrose obsessionnelle je commence a y comprendre quelque chose et ensuite de tous les névrosés obsessionnels que j’ai eu en cure, il n’y en avait pas deux qui se ressemblaient ; c’était à chaque fois des histoires individuelles ». Donc on ne peut effectivement arriver avec une théorie toute prête qu’on va appliquer comme çà. Ce qu’on peut avoir c’est une manière de penser.

AFAPSM-Et pour la schizophrénie avez-vous retenu quelque chose de particulier du Symposium ?

DrJG-Pour la schizophrénie, c’est la même chose, il n’y a pas une théorie générale de la schizophrénie qui nous permette de comprendre. Il y a effectivement un certain nombre d’idées qui donnent des repères généraux et çà je crois que c’est très difficile à transmettre. Les deux exemples que j’ai pris comme par hasard, c’est Ey et Lacan, c’étaient des enseignements en dehors de l’Université parce que je ne sais pas trop si dans l’Université cela peut se faire. Je pense que l’Université peut apporter d’autres choses.

J’ai été aussi frappé des questions posées par l’assistance. Là aussi, dans le sens qu’il me semble que ce sont les mêmes questions qu’en France. On a eu une intervention de la Présidente d’une Association de parents de malades, qui était d’ailleurs fracassante parce qu’elle était prête, si j’ai bien compris, à mettre un anti-psychotique dans le biberon de ses petits enfants, à titre préventif.

Donc, on peut avoir l’impression que ce n’est pas tellement différent en Argentine qu’en France. Souvent j’assiste à des réunions en France et j’ai le même sentiment, c’est-à-dire que les gens discutent de choses en pensant que c’est propre à la France et que c’est peut-être en cela que les rencontres internationales sont intéressantes, cela doit provoquer une certaine ouverture, la prise de conscience qu’ailleurs les problèmes se posent de la même façon. Par exemple, on a beaucoup parlé de l’aspect économique des traitements, mais cet aspect économique à des niveaux variables bien tendu, se pose partout pareil.

Alors peut-être qu’en France, on a été gâté pendant les 30 ans d’expansion économique où cela paraissait aller de soi que de dépenser 10 % de plus pour la santé chaque année, il n’y avait pas de problème. Tout d’un coup, on a eu une espèce de rappel à l’ordre qui bien entendu a été plus dur en Argentine à cause de la crise économique, mais qui est quand même du même ordre. Je rentre de Moscou, alors à Moscou c’est très simple, les médecins sont payés d’une manière qui ne leur permet pas de vivre, donc ni comment faire fonctionner les institutions alors que les salaires payés au personnel ne permettent pas de vivre ? En même temps, j’ai été très impressionné sur cet autre aspect, puisque malgré l’économie, les Argentins sont capables d’organiser un congrès où il y avait 4000 participants, en plus et qui débordait largement de l’Argentine, puisqu’il y avait des gens de tous les pays limitrophes.

AFAPSM - Une question plus personnelle : Avez-vous une formation analytique ?

DrJG-J’ai fait ce que l’on appelait à l’époque une psychanalyse didactique à la Société Psychanalytique de Paris, mais je n’ai pas poursuivi. Quand j’ai terminé mon analyse didactique, j’étais déjà à l’époque chef de service à la Verrière et j’ai été choisi comme successeur du Professeur Sivadon pour diriger l’ensemble des services de la MGEN de telle sorte que quand je suis repassé devant une commission, parce que l’on passait à l’époque à la fin de l’analyse didactique devant une commission, il m’est apparu qu’il fallait là que je choisisse entre une carrière hospitalière temps plein et une pratique privée d’analyste.

J’aurais bien pu répondre que pour bien prescrire les psychotropes, ou pour diriger une Institution psychiatrique, vaut mieux avoir fait une psychanalyse.