Confinement et maintien du cadre psychothérapeutique – Emiliano Carra

Confinement et maintien du cadre psychothérapeutique 

Au sein d’un service de soins-études, je reçois des adolescents en psychothérapie analytique. Suite au confinement, la majorité de mes patients est retournée au domicile parental tandis que je passais en télétravail.

Il a été proposé à chacun de mes patients de poursuivre leur psychothérapie par téléphone ; à l’exception d’une patiente, tous mes patients ont accepté l’idée ou tout du moins se sentaient prêts à tenter cette expérience inédite. Un des objectifs était d’éviter une rupture du lien pouvant mettre en péril l’alliance thérapeutique et le processus psychothérapeutique en jeu. Si ce nouveau cadre psychothérapeutique a demandé une réelle adaptation de part et d’autre, j’ai pu garder le jour et l’heure habituels de la séance pour la plupart de mes patients afin d’assurer une continuité.

La co-construction d’un espace de parole basé temporairement sur deux lieux bien distincts a engendré une sorte de glissement du champ au hors-champ : au « hic et nunc » s’est substitué un « alibi et nunc ». La difficulté était avant tout d’éviter une trop grande focalisation sur la voix, incarnant et symbolisant alors concomitamment l’absence et la présence.

Pour certains de mes patients, aborder spontanément tel ou tel élément est plus compliqué que d’habitude. Les expressions « rien de particulier », « rien d’intéressant » ou « rien de nouveau » sont bien plus présentes au début des entretiens : chaque jour s’inscrivant dans une temporalité suspendue est plus ou moins semblable à l’autre. De nouvelles formes de co-pensée se manifestent ainsi à travers une entrave dans l’élaboration marquée par une narrativité et un fil associatif bien moins fluides que d’habitude

Un de mes patients prend  les choses avec calme ; pour lui,  le confinement est naturel. Une autre patiente sent qu’elle revit une période de retrait du monde extérieur. Alors même qu’elle n’a pas envie d’arrêter son projet scolaire, une forte réactivation de son désir de vivre éloignée de la société se manifeste. Enfin, un jeune patient se sent petit à petit envahi par un intense sentiment d’être seul après avoir vécu positivement le début du confinement.

Il est intéressant de noter que le confinement se situe en miroir des problématiques passées de retrait social pour mes patients ; en effet, leur parcours est marqué par une claustration au domicile parental liée dans un premier temps à une phobie scolaire. Tous mes patients sont très peu ou pas sortis pendant tout le temps du confinement et ont réinvesti intensément le jeu vidéo et les univers virtuels. Tandis que le confinement devient en partie une échappatoire à toute contrainte sociale, à l’angoisse de la rencontre avec l’autre, plusieurs patients expriment cette angoisse de revivre ce qu’ils ont vécu, de s’ancrer de nouveau dans une vie passée exclusivement à l’intérieur de leur chambre. Ils appréhendent aussi cette période comme un test afin de mesurer leur niveau d’autonomie et leur capacité à maintenir un cadre scolaire en dehors du service de soins-études. On comprend alors la complexité des enjeux du confinement pour ces jeunes patients.

Le déconfinement met fin aux séances par téléphone et je revois mes patients : nous portons des masques car telle est la règle institutionnelle. Il faudra donc encore attendre pour un retour au cadre psychothérapeutique tel qu’il existait avant le confinement.