Quelques conséquences psychiques du confinement – Clotilde LEGUIL

Quelques conséquences psychiques du confinement

Clotilde Leguil

En ce temps de déconfinement progressif, une question concernant de près la psychanalyse peut se poser : quelles sont les conséquences psychiques de ce que nous venons de traverser, ou plutôt de la période dans laquelle nous entrons ? Est-il possible d’en parler déjà ? Du point de vue de notre histoire, l’extension inattendue de la pandémie de Corona virus a fait basculer le monde. L’univers indifférent et arrogant de la mondialisation est devenu un monde incertain, traversé par le tragique de l’existence. Ce changement de climat s’est répercuté au cœur du psychisme de chacun : comment répondre à ce phénomène dénué d’intention et acéphale, qui a mis un point d’arrêt à une accélération folle des productions et des déplacements nous confrontant à ce qui n’était pas écrit ?*

*Vous pouvez lire la suite de l’article sur ce lien: https://www.revue-etudes.com/article/quelques-consequences-psychiques-du-confinement-clotilde-leguil-22673

Pratique d’une psychanalyste en ville pendant l’épidémie de Covid-19 – Gricelda SARMIENTO

Pratique d’une psychanalyste en ville pendant l’épidémie de Covid-19

Gricelda Sarmiento

Le secret qu’impose notre pratique m’empêche de rendre publics les problèmes intimes qui se font jour dans cette période exceptionnelle et totalement artificielle. Il n’est pas propre de l’homme de se priver d’une liberté de mouvement et d’action qui l’affectent non seulement lui et sa petite famille — sinon la communauté dans son ensemble—, mais nous avons en général admis que la maladie mortelle que provoque le Covid-19 nous oblige à admettre cette situation en signe de prévention.

Je vous fais donc part à cette occasion des observations d’ordre général de ma pratique de psychanalyste en ville pendant le Covid-19.

​Il y a d’un côté, celle des analysants qui poursuivaient depuis longtemps un travail et ont demandé au bout d’une semaine de poursuivre par téléphone leur analyse. Pour ces demandes, il s’agissait du suivi d’un travail analytique préalable, entamé et élaboré pendant quelques années.

Je m’arrête donc à un cas singulier.

C’est une femme qui vit avec son partenaire et leurs enfants. La question qu’elle se posait était liée plus particulièrement à « l’épuisement » que lui a couté l’effort pour assumer toutes les tâches — qu’elle s’était elle-même assigné— en suivant un type de rapport qu’elle avait depuis toujours avec son partenaire, dans le nouveau rythme imposé par la réalité contraignante.

Au cours de cet analyse par téléphone, une zone de lumière émerge.

Sa question sur  le type de rapport qu’elle entretenait avec son partenaire devenait une zone de lumière laissant voir comme un éclair les possibilités ou non d’une issue.

Malgré le changement brutal imposé par le Covid, leur type de rapports n’avait pas changé, il s’était plutôt accentué. Il a été d’une certaine manière exacerbé et  a fait émerger en surface, comme un iceberg, la façon symptomatique qui la liait à lui.

L’analyse se poursuivait sans trop de surprises pour l’analyste mais pour l’analysant, les conditions de vie confinante temporaire — elles allaient finir un jour, quand même —,  devenaient pour elle impossible à supporter, comme si elles n’allaient jamais prendre fin. Des éclats de violence réprimée s’exprimaient par moments à l’intérieur du couple. Une sorte de haine faisait place, la séparation s’insinuait.

Au fond, le conflit (ou sa structure ?) accentuait, un thème déjà travaillé, quoi qu’un peu perdu parmi d’autres arguments qu’elle se donnait pour justifier sa « belle âme ». Autrement dit, la réalité qui s’imposait lui permettait de déployer son symptôme en toute beauté, cette fois-ci parfaitement justifié par son imbattable rationalité.

Ils devaient résoudre tous ces problèmes, lesquels sont en général pris en charge par des institutions — la garderie, l’école, le sport, les copains et copines, les sorties pour les adolescents, etc. La question de gérer de front le soin des enfants, — petits ou adolescents —, leur propre travail en télécommunication, les tâches quotidiennes de maintien de la maison et la préparation des repas, devenaient débordantes.

Avec son partenaire, tous deux ont bien accepté au début, le partage de tâches, néanmoins l’équilibre n’était pas atteint. Le poids penchait de son côté, alors les plaintes s’accumulaient et elle a demandé d’en parler par téléphone.

​Un question essentielle s’est alors posée pour elle : devait-elle continuer à jouir de son symptôme avec les souffrances qu’il implique ou devait-elle quitter son symptôme avec la perte de jouissance que cela entraîne ?

Les conditions de vie du Covid-19 l’a confrontée à l’énigme d’un choix qu’elle seule est en mesure d’effectuer.

De l’autre côté, se trouvent les personnes que j’ai entendues pendant cette période, qui elles avaient demandé une consultation quelques semaines après le début du confinement. Elles me connaissaient professionnellement mais jamais n’avaient demandé un entretien.

Ici, l’approche est très différente, surtout au niveau de la place et du processus du transfert, même si la méthode psychanalytique employée est toujours la même.

Dans ce deuxième cas, je vais  restreindre la série de séances qui ont eu lieu à un seul détail, qui néanmoins en dit long sur ce qui est en jeu.

Les entretiens étaient téléphoniques sans l’application de l’image sur le portable, c’est à dire seulement audibles, — je n’avais pas énoncé des règles de fonctionnement à ce niveau.

​Au bout de trois séances, la personne demandante, sans que je le sache, avait laissé ouverte l’application « image inclue ».

Au moment d’ouvrir mon portable et me disposer à l’entendre,  je vois sa tête posée sur un oreiller, il était allongé et voulait me le faire voir. J’ai immédiatement écarté le visage de l’écran de mon portable, acte déterminé, je pense, par mon inconscient. La personne avait apparemment besoin de s’allonger pour parler durant chaque entretien. Elle toute seule s’est mise en position d’analysant …

​La différence entre les deux types de demandes, la précédente et celle-ci, est énorme.

Pour cette dernière, tout était à construire à partir de rien, ex-nihilo, c’est-à-dire la création … La psychanalyse est un art. Il y avait sans doute eu un transfert préalable dans les deux cas décrits, soit par personne interposée, soit par référence à la psychanalyse elle-même.

Mais dans les deux cas, les choses se sont jouées dans la rencontre des paroles, les leurs et les miennes, les signifiants se sont mis là à jouer. Le ton de la voix, plus ou moins basse, le rythme, le temps qui s’écoule d’mot à l’autre, l’angoisse ou l’attente de l’un et de l’autre, bref la chaine signifiante s’est mise en branle.

*

Pour conclure je peux seulement dire que la découverte de Freud et les avancées de Lacan ont une fois de plus confirmé la convergence de la théorie et de la pratique de l’analyse.

La psychanalyse n’a besoin pour s’encadrer que de deux personnes, une qui parle et une qui écoute, l’analysant et l’analyste.

Ils peuvent le faire en marchant, assis, debout ou allongé, par téléphone ou en chair et en os. C’est l’inconscient qui émerge entre deux partenaires, c’est-à-dire, le Ça qui éclot dans la présence réelle ou fantasmatique de l’Autre confluant ainsi avec l’expérience clinique la plus quotidienne.

Brève du jour – Federico OSSOLA

Brève du jour 
 

Samedi 30 mai. Garde aux urgences de l’hôpital général.

Avec les infirmiers, nous constatons le « retour des  angoissés » qui étaient restés sagement chez eux pendant la période de confinement, période qui a été étonnement calme en termes d’activité pour l’équipe de psychiatrie des urgences.

Au-delà d’une facilitation pour l’accès aux soins et d’une diminution de la crainte du COVID-19 associées au dé-confinement, comment interpréter ce retour ?

Est-ce le retour à une certaine normalité ce qui permet l’expression des angoisses et les demandes de prise en charge ? Ou bien serait plutôt quelque chose de cette « normalité » qui en serait la source ?

La présence d’un psychiatre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 rend l’accueil des urgences, au moins sur notre secteur, le seul lieu qui propose une continuité absolue pour la rencontre avec  un interlocuteur quand la détresse s’impose au sujet. Dans ce sens, le confinement a introduit une discontinuité qui n’a pas été sans conséquences pour les patients. Comment ont-ils supporté l’angoisse pendant le confinement ? Et la nature de cette angoisse, aurait-elle été teinte d’une couleur différente de celle de l’angoisse « normale » ? Dans ce sens, comment articuler le rapport continuité/discontinuité à l’angoisse?

Je n’introduis pas ici une distinction liée à la psychopathologie sur la nature de l’angoisse car le retour des angoissés se présente comme un phénomène général qui réunit les patients souffrant de psychose, ceux d’une structure plus névrotique, les personnes en situation de précarité, les premiers contacts avec la psychiatrie, les adolescents, les personnes âgées, etc.  Comme si  au-delà des structures psychiques et des situations vitales, ce retour se produisait autour de quelque chose de commun.

Ou encore, le retour aux urgences permettrait aux patients de confirmer la possibilité d’un retour aux habitudes « d’avant » et la permanence dans « l’après » des points d’étayage ?  S’angoisser pour se rassurer ?

Pour l’heure, plus de questions que de réponses.

Journal du confinement

Journal du confinement

Dans les années 2000, les grands Hôpitaux Psychiatriques de la Région Parisienne se modernisent, et décident de rapprocher leurs services des populations desservies. Ce faisant, ils désertent leurs sites historiques, datant de la fin du XIXème siècle, ils abandonnent leurs « pavillons » disséminés dans de vastes parcs paysagers, pour s’installer dans des immeubles beaucoup plus récents au cœur de la cité. Cette délocalisation entraîne le passage d’une architecture horizontale et aérée à une architecture verticale sans extérieur.

À cela, se sont ajoutées les réformes hospitalières comme la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (HPST, loi de 2009) ou la création à marche forcée des « Groupements Hospitaliers de Territoire » (GHT, loi de 2016) qui ont concentré la gestion et l’administration des établissements, en les éloignant de la réalité des services. Du coup, les nouveaux hôpitaux psychiatriques, dont le nombre de lits a été calculé au plus juste pour ne traiter que les crises aiguës, ne bénéficient d’aucune autonomie de gestion par rapport à leur Maison-Mère.

À l’heure du confinement, ces immeubles de fous révèlent toute leur cruauté… Ce journal, tenu par une psychiatre des Hôpitaux, en est le témoignage.

26/2 _________________________________________

Le Ministère de la Santé annonce le premier cas français mort du Covid 19 à la Pitié-Salpêtrière, professeur de collège dans l’Oise, âgé de 60 ans.

11/3_________________________________________

Retour dans le service de Mr V. absent depuis 8 jours. Alors que son périmètre d’errance ne dépasse jamais la Porte d’Orléans, il nous dit s’être perdu, et revenir de Creil dans l’Oise ! Affolement général, il est enfermé dans sa chambre, masqué quand il nous parle, et doit y prendre ses repas. Il sort juste 1⁄2 h pour fumer sa cigarette sur la terrasse. Il n’y a pas encore de test disponible dans l’hôpital, ni dans le labo d’analyses avec lequel on travaille habituellement. Mr V. ne peut être testé, on le confine pendant 8 jours, faute de test.*

*Pour lire la suite du journal, cliquer sur ce lien: https://blogs.mediapart.fr/elena-sabatier/blog/280420/journal-de-confinement-l-hopital-psychiatrique