Pratique d’une psychanalyste en ville pendant l’épidémie de Covid-19 – Gricelda SARMIENTO

Pratique d’une psychanalyste en ville pendant l’épidémie de Covid-19

Gricelda Sarmiento

Le secret qu’impose notre pratique m’empêche de rendre publics les problèmes intimes qui se font jour dans cette période exceptionnelle et totalement artificielle. Il n’est pas propre de l’homme de se priver d’une liberté de mouvement et d’action qui l’affectent non seulement lui et sa petite famille — sinon la communauté dans son ensemble—, mais nous avons en général admis que la maladie mortelle que provoque le Covid-19 nous oblige à admettre cette situation en signe de prévention.

Je vous fais donc part à cette occasion des observations d’ordre général de ma pratique de psychanalyste en ville pendant le Covid-19.

​Il y a d’un côté, celle des analysants qui poursuivaient depuis longtemps un travail et ont demandé au bout d’une semaine de poursuivre par téléphone leur analyse. Pour ces demandes, il s’agissait du suivi d’un travail analytique préalable, entamé et élaboré pendant quelques années.

Je m’arrête donc à un cas singulier.

C’est une femme qui vit avec son partenaire et leurs enfants. La question qu’elle se posait était liée plus particulièrement à « l’épuisement » que lui a couté l’effort pour assumer toutes les tâches — qu’elle s’était elle-même assigné— en suivant un type de rapport qu’elle avait depuis toujours avec son partenaire, dans le nouveau rythme imposé par la réalité contraignante.

Au cours de cet analyse par téléphone, une zone de lumière émerge.

Sa question sur  le type de rapport qu’elle entretenait avec son partenaire devenait une zone de lumière laissant voir comme un éclair les possibilités ou non d’une issue.

Malgré le changement brutal imposé par le Covid, leur type de rapports n’avait pas changé, il s’était plutôt accentué. Il a été d’une certaine manière exacerbé et  a fait émerger en surface, comme un iceberg, la façon symptomatique qui la liait à lui.

L’analyse se poursuivait sans trop de surprises pour l’analyste mais pour l’analysant, les conditions de vie confinante temporaire — elles allaient finir un jour, quand même —,  devenaient pour elle impossible à supporter, comme si elles n’allaient jamais prendre fin. Des éclats de violence réprimée s’exprimaient par moments à l’intérieur du couple. Une sorte de haine faisait place, la séparation s’insinuait.

Au fond, le conflit (ou sa structure ?) accentuait, un thème déjà travaillé, quoi qu’un peu perdu parmi d’autres arguments qu’elle se donnait pour justifier sa « belle âme ». Autrement dit, la réalité qui s’imposait lui permettait de déployer son symptôme en toute beauté, cette fois-ci parfaitement justifié par son imbattable rationalité.

Ils devaient résoudre tous ces problèmes, lesquels sont en général pris en charge par des institutions — la garderie, l’école, le sport, les copains et copines, les sorties pour les adolescents, etc. La question de gérer de front le soin des enfants, — petits ou adolescents —, leur propre travail en télécommunication, les tâches quotidiennes de maintien de la maison et la préparation des repas, devenaient débordantes.

Avec son partenaire, tous deux ont bien accepté au début, le partage de tâches, néanmoins l’équilibre n’était pas atteint. Le poids penchait de son côté, alors les plaintes s’accumulaient et elle a demandé d’en parler par téléphone.

​Un question essentielle s’est alors posée pour elle : devait-elle continuer à jouir de son symptôme avec les souffrances qu’il implique ou devait-elle quitter son symptôme avec la perte de jouissance que cela entraîne ?

Les conditions de vie du Covid-19 l’a confrontée à l’énigme d’un choix qu’elle seule est en mesure d’effectuer.

De l’autre côté, se trouvent les personnes que j’ai entendues pendant cette période, qui elles avaient demandé une consultation quelques semaines après le début du confinement. Elles me connaissaient professionnellement mais jamais n’avaient demandé un entretien.

Ici, l’approche est très différente, surtout au niveau de la place et du processus du transfert, même si la méthode psychanalytique employée est toujours la même.

Dans ce deuxième cas, je vais  restreindre la série de séances qui ont eu lieu à un seul détail, qui néanmoins en dit long sur ce qui est en jeu.

Les entretiens étaient téléphoniques sans l’application de l’image sur le portable, c’est à dire seulement audibles, — je n’avais pas énoncé des règles de fonctionnement à ce niveau.

​Au bout de trois séances, la personne demandante, sans que je le sache, avait laissé ouverte l’application « image inclue ».

Au moment d’ouvrir mon portable et me disposer à l’entendre,  je vois sa tête posée sur un oreiller, il était allongé et voulait me le faire voir. J’ai immédiatement écarté le visage de l’écran de mon portable, acte déterminé, je pense, par mon inconscient. La personne avait apparemment besoin de s’allonger pour parler durant chaque entretien. Elle toute seule s’est mise en position d’analysant …

​La différence entre les deux types de demandes, la précédente et celle-ci, est énorme.

Pour cette dernière, tout était à construire à partir de rien, ex-nihilo, c’est-à-dire la création … La psychanalyse est un art. Il y avait sans doute eu un transfert préalable dans les deux cas décrits, soit par personne interposée, soit par référence à la psychanalyse elle-même.

Mais dans les deux cas, les choses se sont jouées dans la rencontre des paroles, les leurs et les miennes, les signifiants se sont mis là à jouer. Le ton de la voix, plus ou moins basse, le rythme, le temps qui s’écoule d’mot à l’autre, l’angoisse ou l’attente de l’un et de l’autre, bref la chaine signifiante s’est mise en branle.

*

Pour conclure je peux seulement dire que la découverte de Freud et les avancées de Lacan ont une fois de plus confirmé la convergence de la théorie et de la pratique de l’analyse.

La psychanalyse n’a besoin pour s’encadrer que de deux personnes, une qui parle et une qui écoute, l’analysant et l’analyste.

Ils peuvent le faire en marchant, assis, debout ou allongé, par téléphone ou en chair et en os. C’est l’inconscient qui émerge entre deux partenaires, c’est-à-dire, le Ça qui éclot dans la présence réelle ou fantasmatique de l’Autre confluant ainsi avec l’expérience clinique la plus quotidienne.